Le petit macaque

Sauf que là, je ne peux pas.

Le trauma remonte car l’échéance arrive dans quelques jours et l’avocat (cette fois-ci ,c’est le mien…) a disparu. Cette affaire dure depuis des années et j’ai tant perdu… Et je n’ai jamais trouvé les règles du jeu. Car que faire ?

Toi, tu m’as tellement appelée en des circonstances bien plus graves que je ne révèle plus tellement je me demande chaque jour comment on a pu nous laisser dans une telle merde !

Le trauma prend tout qui fait que je n’ai pas la place d’écrire.

Toi, tu m’appelais ; « Au secours ! Ma personne de confiance, es-tu là ? » Et si je pouvais raconter d’où tu m’appelais et pourquoi ! O my god, sérieux ?

Et je disais : « Oui, je suis là. »

Je t’écoutais.

Sachant que pour vivre en ce monde, il est impératif d’être en relation avec une personne de confiance. Celle qu’on appelle à quatre heures du matin, celle qu’on appelle à l’autre bout du monde, en prison ou même au mitard,

dans le bureau du juge d’instruction,

ce numéro qu’on laisse à l’inspecteur en disant : « Prévenez-la. »

S’il m’arrive quelque chose.

Sauf que là, moi, je ne peux pas t’appeler.

Je suis seule face à la justice qui va me broyer.

Sauf que là, je ne parviens pas à écrire à propos du petit macaque alors que je suis dans la situation du petit macaque et que je voudrais écrire le plus beau texte qui soit sur lui ! C’est une des raisons pour lesquelles je retarde… Le petit macaque se blottit contre un mannequin douillet (qu’il prend pour sa première figure d’attachement) quand il a peur. Il se blottit avant de téter le biberon. Avant de se nourrir l’estomac, il a besoin de tendresse pour se calmer. Sans ça, nous ne pouvons pas nous développer.

C’est ça, la terreur de l’abandon face à la justice.

C’est pour ça que je suis venue dans le pire endroit du monde.

Mais on le sait, c’est officiel et prouvé, la société est de plus en plus violente parce que le lien se délite et c’est un cercle vicieux.

C’est pour ça que je suis venue, même derrière une vitre.

Le petit macaque sait.

Tu sais, c’est pas pour rien qu’ils parlent d’agneau sacrifié.

Je sais ce monde où on te punit pour une étreinte pour que tu ne guérisses jamais.

Car on sait, c’est se blottir contre l’autre qui répare.

Le petit macaque qui n’a pas de personne de confiance contre qui se blottir devient fou : il s’automutile et peut parvenir à se tuer.

Il suffit de séparer la personne de sa personne de confiance pour la détruire.

Et je sais que c’est normal de penser à la personne aimée on entre dans le bloc opératoire, c’est humain de vouloir serrer une main qui serre la notre en retour.

C’est ainsi que la vie a survécu.

Et tu le sais car tu l’as fait : m’appeler.

Comment ça serait si, moi, je te demandais de l’aide, de l’écoute… Oh je sais… Je l’ai fait y a quelques semaines…

C’est presque comique, non ?

13 avril 2023

Lui

Je n’ai pas trouvé la force d’écrire à propos du campagnol des prairies et sa manière de s’attacher à son compagnon de vie et du petit macaque qui se blottit contre un objet doux quand il a peur (avant de boire au biberon). Mais je vais le faire car c’est essentiel pour moi d’écrire à ce sujet. Ca me calme, ça me guérit, ça me répare. C’est la découvert de la caverne d’Ali Baba. C’est un dévoilement qui dénude, fragilise et renforce parce que c’est aller à la pulpe du vivant. Le petit macaque se colle à de la douceur pour apaiser sa peur. Je comprends alors pourquoi toi… Pourquoi je suis venue te voir. Ca me relie à moi-même en tant qu’humain.
Ca donne un sens, le sens d’être un mammifère.
Contre vents et marées !
Contre l’avis de la majorité… C’est ça, le plus dingue.Car je continue à croire et penser à contre-courant que le lien est la clé comme ceux qui étudient le petit macaque et les campagnols (entre autres car il y a les petits humains de l’enfance à la délinquance)
En attendant le texte sur le petit macaque et les campagnols des prairies, je relis les textes que j’ai écrits dans mes ateliers et ça m’émeut car j’ai écrit ça juste avant le confinement… sans savoir ce qui allait advenir, ce que ça détruirait… dans le grand abandon de cette société pour les « comme nous »
alors que je n’ai jamais lâché. Même dans cet enfer que nous avons vécu. Dont j’hérite aujourd’hui.

Voici :

Malgré son état physique et son immense fatigue, il était heureux d’avoir traversé l‘orée du bois, elle avait arrêté ceux qui le poursuivaient depuis des jours. Il avait gardé la flamme de la bougie intacte. Il préférait mourir, même dans l’obscurité de la forêt et aussi seul qu’un être humain pouvait l’être. Ils ne l’auraient jamais, les soldats du roi. Sous son aspect misérable, et cette vieillesse qui lui était tombé dessus en une nuit, à cause du sort qui lui fut jeté pour avoir refusé de trahir la noble cause, il se sentait léger.
(…)
La vie est bien faite. Alors qu’il s’abandonnait à son dernier souffle, la femme le prit dans ses bras où il tomba de tout son poids. L’espoir l’ayant quitté, il avait aimé plonger dans l’inconscience : délesté de la sensation de la lutte qui l’animait depuis des années où chaque matin venait avec la peur dans son estomac.
La vie est bien faite.
Car elle était là, et sans un mot, elle l’installa devant le feu et lui laissa le temps de se reposer. Le temps même disparut. Il ne restait plus que la cabane dans un petit coin de la forêt. Jamais personne ne le retrouverait. Un matin, bien longtemps après, il se réveilla. Elle était là.
Il regarda ses jambes à nouveau jeunes.
– Comment ça se fait ?
Elle lui montra trois cheveux d’or.
– Comment as-tu trouvé ?
Elle mit son doigt sur ses lèvres.
– Chut ! Tu reviens d’un long combat.
Comment avait-elle trouvé son trésor ?
– Mais il te reste encore une sacrée bataille.
Les yeux de l’homme se figèrent.
– La bataille de la confiance.

6 avril 2023

Invisible

Il dit : « Tu étais stressée la semaine avant ton opération. »
– Ah bon ? Tu as vu que j’étais stressée ?
– Oui, ça se voyait et tu le disais.
La semaine d’avant l’opération, je suis inquiète à cause des grèves dans le train (en cours depuis plus de deux mois qui se cumulent aux conséquences de l’affaissement du talus depuis novembre, et y a toujours des travaux) et, selon lui, par mon opération la semaine suivante. Surtout que cette opération, ça a été toute une histoire !
Ce jour-là, il prend son téléphone, me demande où je vais et regarde les horaires des trains.
Et pour moi, c’est un geste totalement dingue.
Depuis des années, je prends le train. Et dans des situations très complexes et donc de stress, parfois, j’en référais à la personne à mes côtés. Sans effet.
Lui,
C’est le premier qui prend son téléphone et me montre sur l’écran les horaires.
Quel choc !
Le petit écran du téléphone validant les horaires que j’avais vus à la gare.
C’est donc quinze jours après qu’il me dit :
– Tu étais stressée la semaine avant ton opération.
Et à ma réaction que je tente de masquer car je suis au bord de m’évanouir, il continue :
– Et c’est normal que tu sois stressée avant une opération.
– Ah bon ?
Je répéterais en boucle : « C’est normal que tu sois stressée avant une opération. »
– Bah oui, c’est stressant objectivement.
– Surtout que j’ai attendu un an, cela a été reporté plusieurs fois. Car, en plus, je devais trouver un hébergement et ça a été dur. Le trauma a été encore répété.
Je ne le connais pas, il n’est pas mon ami. Il réagit ainsi sans que je lui demande rien. Il le fait, c’est tout. Il est ainsi, c’est ainsi.
C’est donc un choc.
Que je n’identifie pas sur le moment. Parce que justement c’est un choc.
– Et c’est normal ma fatigue ensuite ?
– Oui, bien sûr que c’est normal. C’est sans doute l’anesthésie et aussi la détente qui vient après l’accumulation du stress sur des semaines.
C’est donc quelqu’un qui sait, qui comprend, qui voit,
Ça me fait tellement bizarre que je me sens ultra vulnérable. Au point que j’ai peur de m’effondrer. Et de me dissoudre.
C’est comme si la dissociation pouvait s’arrêter, comme si les effets de la discordance venant de l’extéireur pouvait cesser et que je pouvais réintégrer mon corps. Habiter à nouveau mon corps, ça serait comment ?
Je récolte ces graines car sinon je ne pourrai plus vivre.
Comme si je pouvais avoir la sensation d’être enveloppée à nouveau.
C’est la base du début de la vie de l’humain (et d’autres mammifères) : le feed back, le feed back qui te permet de trouver la confiance, la sensation de tranquillité, la sécurité primitive.
C’est pour ça que dans mes ateliers, je renvoie la balle m’exerçant au maximum d’ouverture, m’assurant en permanence de la justesse du retour avec les patients. Nous affinons ensemble, nous identifions ensemble, nous avançons ensemble. Minute par minute, semaine par semaine, mois par mois. Année après année.
Je leur laisse des années pour bouger sans injonction de bouger. Sans aucune pression. Je m’y entraîne. C’est un long entraînement, c’est beaucoup de travail et d’implication. Et je ne fus pas toujours seule à m’exercer (Salut Christophe, tu me manques)
Le feedback juste répare. Il répare le cerveau grâce (entre autres) à l’accordage ; être en accord avec l’environnement qui valide.
Car le feedback discordant finit par te rendre fou au point que tu te dissocies, au point que tu te fragmentes.
Face à celui qui prend son téléphone pour regarder les horaires, qui discerne mon émotion, pose des mots dessus, ne me juge pas et me dit que mes réactions sont normales et manifeste de l’empathie, je suis choquée car, en plus, je ne lui ai rien expliqué. Je ressens comme c’est agréable de ne pas dépenser d’énergie à expliquer quelque chose, quelque chose si simple et si évident.
Ce garçon identifie TOUT SEUL, et je me sens à nouveau visible. Prenant conscience comme j’ai appris à me sentir invisible.
Peut-être que je rentre à nouveau dans mon corps grâce à quelques gestes.
Peut-être est-ce comme le bébé qui se construit avec le regard de l’autre, son regard en dialogue avec celui de l’autre, l’autre qui est là, avec le toucher de l’autre, avec le holding de l’autre, en présence de l’autre dans un soin continuité sur le temps.
Ce que j’avais établi pour toi sur des années. Cet autre que j’étais qui est venu te voir pour garder l’humanité, cet autre avec qui on fabrique le lien qui est un lieu. Cet autre unique qui te renvoie que tu es unique. Créant un lien et un lieu privilégiés.
Mon autre à qui j’avais écrit :
« C’est la fin de la course
Et je te vois au bout de la route
Les bras ballants, le sourire éteint
Et je m’avance vers toi lentement
Béate d’amour
Ramassant mon reste d’espoir
En silence
Radieuse, folle, déterminée. »
Et mon corps revient dans mon corps
Aussi grâce à mon lieu d’écriture
Et,
En contre-balancement à l’indifférence et l’instabilité du lien et du lien, qui creusent un trou dans l’être, et ça peut mener à la mort,
Alors, en contre-balancement,
un message de quelqu’un de cher sur le temps : « Tu écris toujours aussi bien. »
Un retour qui identifie. Oups, ça se fait encore.
Ça me fait comme l’effet de l’écran du téléphone dans les mains du garçon.
Et je sais que ça fonctionne ainsi pour les grands blessés car je m’entraîne depuis des années dans mes ateliers à préciser le retour. Et l’autre jour, A. a exprimé sa gratitude et s’est exclamé : « Ça marche ! » Et elle a insisté car elle a vu comment j’avais du mal à intégrer la validation.
Oui, ça marche…

30 mars 2023

Le lieu et le lien

Je choisis parmi les textes que j’ai écrit au pied levé dans les ateliers que j’anime en psychiatrie, que j’ai écrit comme si je pouvais atteindre ce toi par le moyen d’un code morse dans un monde visant à détruire le lien social pour que nous ne soyons plus des humains, à banaliser les impacts de certaines ruptures, un monde sans socle, sans racines, sans terre, un monde sans lien et sans lieu, où les êtres s’interchangent en mode objet, un monde qui s’attend à ce qu’on ne s’envoie plus de lettres que nos mains auraient écrites. J’oeuvre à contre-courant… Car ces textes, je les ai écrits à la main n’en déplaise à nos chefs européens qui visent à détruire cette écriture cursive, contre les impératifs de séparation que les psy même encouragent car le but, c’est la résilience (what the fuck) de l’individu contre tous les besoins de cet animal social que nous sommes… Qui a besoin d’un havre de tranquillité et de solidité pour s’épanouir. Donc leur injonction est paradoxale !

Je ne me résigne pas, à me plier à leur monde où l’absence de retour, de retour nourricier, de feed back, c’est leur truc à eux. Une pensée ne se forme qu’avec un dialogue, c’est-à-dire en jouant au ping-pong… Mais, on nous condamne à ne pas penser. Et ça leur va.

En résistance à leur monde suspendu dans les airs, je continue à écrire, à la main, des boucles formant des mots, tel des SOS. Pour ne pas perdre mon humanité qui est mon essence, qui est mon feu intérieur, qui est ma vie même si j’en meurs.

Alors voici ces lianes pour garder ma croyance en l’unicité de chacun, pour maintenir le lien pour rester en ce lieu que j’habite :

J’ai changé d’avis, je suis retournée sur mes pas, je suis revenue sur le lieu du crime. Et ça m’a fait un bien fou, et je ne l’ai dit à personne.

J’ai changé d’avis, car j’ai pris conscience que ce n’était pas mon avis. C’était des conseils, des voix venues de l’extérieur qui disaient : « Quand tu auras fait ton deuil. » Sur le petit talus de pierre où il était enterré, je hurlai ce que je ne leur dirai jamais : « Bandes de bâtards, il n’y a pas de deuil. Le trauma ne connaît pas la temporalité. » Je découpai en morceaux ces phrases que j’entendais depuis l’enfance et que je ne comprenais pas. Pourquoi est-ce qu’ils essaient de me faire croire en des choses que je ne vis pas ?

Il était sous mes pas, et non je n’irais pas au tribunal voir son assassin. Car la justice ne répare pas. Et elle ne me rendrait rien. Est-ce possible de vivre sans être jamais entendue ? Son assassin, c’est moi qui irais lui faire sa fête. Le temps ne répare pas non plus, mais il donne l’opportunité de fabriquer des arbalètes.

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Dans l’ombre, je te regarde toi qui a été à l’ombre des années,

quand, moi, j’étais dans la marge.

Oui, tu es là, finalement. Après cette longue marche, tu as posé ton baluchon dans l’herbe. Ce baluchon de coton violet que tu as confectionné avant de retrouver l’air libre où tu as mis toutes tes affaires, j’ai envie de le voler et de l’ouvrir. Car je me demande : «  Que te reste-t-il ?

Et je te dis : « Ça va ? » Mais tes lèvres ne s’ouvrent pas.

Il n’y a que le silence et les aller-retours d’un écureuil qui va et vient à mes pieds pour remplir le garde-manger. Pendant des années, je voulais te bousculer comme tu m’avais bouleversée. Puis, cette envie est partie de moi, plus ou moins. Car je gardais tout au fond de moi ce désir que tu chavires. Pour mieux reprendre un cap.

Tu finis par dire : « Mais, toi, ça va ?

Car c’est toi maintenant. »

 

23 mars 2023

La perte

Jeudi est mercredi cette semaine car demain… Demain non.

« Les médecins de famille, les prêtres et ceux qui sont doués de sensibilité savent depuis longtemps qu’il existe peu de coups infligés à l’âme dont la puissance soit supérieure à celle de la perte d’un être cher et proche. La sagesse traditionnelle reconnaît que l’on peut être écrasé de chagrin et que l’on peut mourir d’un coeur brisé. » Quand je découvre cette phrase de John Bowlby, je tremble. Quelqu’un sait. Quelqu’un a su. Écrite en 1967 où sans doute il y avait encore des médecins de famille, de prêtres et des sensibles… et une sagesse traditionnelle ! Elle résonne avec le texte que je tape aujourd’hui, ce texte où j’ouvrais mon coeur brisé avant de lire Bowlby :

« Rien ne me fait plus peur que de te perdre. » Quand j’ai dit ça en arrivant à l’hôpital, ils m’ont tout de suite internée. Et sans le dire, je connaissais le diagnostic qu’ils avaient posé sur moi. On a, nous, une si grande peur de perdre que ça nous rend autres. Ça fait de nous des êtres différents. Différents de ceux qui disent : « C’est normal de ne plus avoir de nouvelles des gens, c’est normal que les gens te lâchent au premier inconfort émotionnel. » Alors, nous sommes différents, nous, quand eux, hamsters dans la roue : « Tout va bien tout va bien. » D’ailleurs, c’est moi qui suis entrée à l’hôpital.

Les liens qui nous unissent, je les porte. Je les porte seule, je suis habituée à porter les liens seule comme une Africaine porte la jarre d’eau sur la tête. Elle va chercher l’eau au puits, c’est elle qui manie la corde pour activer la poulie qui descendre le seau jusqu’en bas. J’ai cherché à tresser ces cordes pour les liens dans ce monde où la capacité à cette faculté vacille. J’ai cru en ces liens qui nous unissent sans pourtant avoir reçu la base à la base. Tout était donc périlleux.
Et pourtant, « pouvoir être en sécurité avec les autres est la base de la santé mentale ».
Or je ne suis pas en sécurité au milieu de ces gens qui ignorent le chagrin d’un coeur brisé.

C’est donc moi qui suis entrée à l’hôpital pour avoir tissé ce lien.

15 mars 2023

La voltige

Il avait quelque chose d’une spirale, un truc de barré, son ombre violette me hantait, je me sentais prise dans les bras d’un tourbillon enivrant. Jusqu’alors ma vie n’avait été qu’un vague gribouillis, et là je me réincarnais en acrobate, prête à la voltige Je congédiais le vulgaire, je traînais dans le fumoir où je guettais la moindre aspiration.
Puis le corps couvert de hiéroglyphes, je m’étendais dans l’herbe au soleil, attendant une comète, dégustant les prémisses du cataclysme. j’évitais enfin les détours, j’étais prête à enjamber la vie, à grignoter ce pique-nique qu’il m’avait préparé sur le sable.

9 mars 2023

Le gitan Deuxième étape

Je reprends la rencontre que je voulais raconter la semaine dernière.
Le gitan, et mon émerveillement.
Je me souviens qu’enfant, je voulais que des gitans m’enlèvent. Certains habitaient au bout de ma rue, d’autres en face de la piscine où j’allais deux soirs par semaine.
Quelques jours après, je vois un livre sur ces gens-là « par hasard » à la bibliothèque que j’engloutis direct.
Car d’où vient mon attirance enfantine ?
Ça existe depuis longtemps la fascination de ceux de la bohème, leurs apparats de saltimbanques, leur noblesse, la respiration du bouffon du roi, celui qui dit, celui qui prie, le poète avec une plume dans les cheveux. L’appel de la marge, de l’interstice, de l’à-côté dans un monde où un unique point de vue nous est imposé. La marge comme miroir.
As-tu déjà pensé que chez les gitans, y a pas de roi, ou il est caché sous les chiffons d’un gueux. Et ce qui dérange les autorités françaises, c’est que les gitans n’ont pas de représentant et la France n’admet pas cette absence de représentants.
Dans le livre, un gitan dit : » Nous sommes un peu en arrière du monde des gadjé »,
vouloir se réfugier dans un monde parallèle qui fonctionne autrement
Un oasis après la guerre, car tu sais de quelle guerre, je reviens,
Toi, tu le sais un peu.
Quand tu es une paria, quand tu es bannie, où aller ?
L’oasis avec ces quatre piliers : l’honneur, l’hospitalité, la rectitude et la loyauté (le code d’honneur albanais), où est-il ?
Rencontrer un gitan, comme les gitanes quand je faisais ces voyages pour te voir.
Car, eux ne lâchent pas l’un des leurs. Ça passe avant tout.
Je répète inlassablement ce besoin de liens affectifs sains que cette modernité occidentale se vise à détruire pour nous fragiliser individuellement et ça fonctionne à fond car ils sont beaucoup à trouver ça super cool.
Un des psy que j’ai enduré m’avait dit que je réagissais comme une Inuit :
– Quand la glace a cassé, vous alertez le village car il en va de sa survie.
Oui et alors ?
Comment vivre dans un monde où ils te regardent comme un extra-terrestre parce que tu préviens quand la glace brisée menace le village ? Ou ils te crachent dessus pour ça…
Chez les gitans, on appelle « commis », c’est un gadjo en rupture (sociale, familiale et/ou psychologique) accueilli dans une famille du Voyage. En échange d’être nourri, il exécute une parie des tâches de la vie du Voyage.
Un refuge. Ce que je nous voulais dans la love capsule.
Ce que je me voulais depuis que je rêvais d’être enlevée par une famille du Voyage.
Dans le livre que je lis sur les tziganes, j’apprends des faits a contrario des idées reçues fabriquées par le dominant.
Par exemple,
Les gitans ne laissent pas quelqu’un dormir seul. Ah, c’est sûr, ils sont loin ! On a observé que les victimes de violences conjugales guérissent mieux quand elles sont dans une maison où elles entendent le bruit des autres (et je peux en témoigner). Or en France, les victimes de violences conjugales se retrouvent dans une immense solitude. Parce que ce pays est dingue !
Cette solitude empêche le traumatisme de guérir. Et ça fait bizarre car y a aucune issue à part prier pour un oasis, une gitanerie qui t’abriterait, une main tendue, une porte ouverte.
Or ici ils ne savent plus faire. On te laisse dormir seule chez toi après les coups… Normal wouaich
Or, il faut rencontrer un extra-terrestre… Des extra-terrestres. Des d’un autre territoire.
Par exemple, les tziganes font
« le choix de la suprématie de l’échange direct, de la présence physique de l’interlocuteur, du temps passé ensemble. » Tu la vois, la différence ? C’est ainsi que je te tenais à te voir en direct. Quelque part je ne suis pas de ce pays, car d’ailleurs j’étais bien seule là-bas, vu que ça ne se fait pas ici.
Et oui,
ça change du ghosting, de la communication par écrans, du culte du confinement, de la relation « liquide », de la dislocation de la discussion à bâtons rompus.
En conséquence, les tziganes refusent le collège où le temps est séquence en heures et changement de professeur, où il n’est plus possible de solliciter le maître ou la maîtresse et de négocier avec lui/elle. »
Par exemple, ils écoutent la demande de l’enfant concernant ses besoins, c’est pour ça qu’ils ne le mettent pas à la crèche ou à l’école maternelle. Sachant que les anciens passent avant l’enfant.
Je me souviens de mon envie enfantine de sabots et de ces habits de toutes les couleurs superposées comme ces femmes dans le petit village d’Abyaney en Iran, les grandes boucles d’oreille, cette puissance comme une virilité incarnée, cette nécessité d’en découdre en chair et en os,
ces couilles portées,
celui qui s’engage et qui va jusqu’au bout.
À 26 ans, Dylan parle comme ceux qui ont déjà vécu,
rien d’extraordinaire en des temps sains,
et cette simplicité semble devenir de plus en plus rare,
Cette respiration, cette présence au vivant,
Cette présence d’hommes.
Je voulais que tu m’emmènes
et lui dit : « Ma femme est versaillaise. »
Cette mixité sociale des extrêmes, ça donne une sensation de liberté :
Ça fait homme.
Je te choisis, je te prends entière,
Moi,
Entier.

2 mars 2023

Le gitan – Première étape

J’ai commencé à écrire un texte, mais je suis tombée malade, donc je n’aurai pas la force de l’achever. Pas la force et pas l’envie car je prends conscience que j’aborde un sujet plus profond qu’une simple rencontre dans un blablacar.
Une rencontre qui ouvre une porte sur un univers.
J’ai rencontré un gitan, et je voulais t’en parler.
Car j’ai l’idée que ceux-là ne se lâchent pas la main. Qu’ils ont compris que ça rend plus forts d’être soudés,
d’autant plus dans un monde hostile. C’est le principe de l’existence du lien affectif. C’est sûr, ils n’ont jamais soulevé une armée pour conquérir des contrées et c’est eux qu’on dit violents. Aujourd’hui y a des gens ( et y en a un paquet) qui disent : « Pas de lien, c’est une question de survie. » Renforcer l’évitement des émotions, la phobie du chagrin, mais sous l’armure rien ne peut se fabriquer. Une société basée sur le trouble de l’attachement généralisé. Soit !
« Pas de lien, c’est une question de survie » : je ne comprends pas la logique qui est à contre-sens de toute la dynamique du vivant (des arbres aux mammifères). À part que je sais que c’est pathologique. L’humanité est devenue malade à ce point, et il y a des oasis. Il y a comme dit un gitan cet « arrière-monde des gadjés » où on respire loin de la maladie de la modernité, cette modernité qui brise les liens à en détruire les Hommes.
C’est ce contre quoi j’ai lutté en étant ta personne de confiance. Comme un étendard planté en plein no man’s land et le plus fou, c’était le territoire du véritable no man’s land de 14-18.
Oubliant que je vivais dans cette modernité qui me détruirait pour ça. Car c’est une interdiction de créer du lien. Les institutions françaises n’aiment pas ça de la protection de l’enfance au traitement de la délinquance (l’un étant très lié : on détruit l’enfant pour le rendre délinquant (en le rendant incapable de créer du lien : la machine est bien huilée). Et quand tu deviens cette base, gare à toi.
Et moi, je n’avais pas d’arrière-base tzigane… J’étais face à la férocité de ce qui défait le lien.
Tu disais que nous avions créé une love capsule
et que les autres nous regardaient en s’en nourrissant, en s’en inspirant,
car on se parlait on se touchait on exprimait là où c’est interdit, là où ils ne le faisaient pas
comme s’ils n’avaient jamais vu ça.
Et ils n’avaient jamais vu ça.
Ceux qui restaient libres, c’étaient les gitans. Par-dessus de tout, on va voir son poto partout là où il est. Surtout quand il est dans la panade. C’est la base de l’humanité.
Et je l’ai fait à côté de gitanes,
Pour gagner ma caravane,
Une caravane comme « love capsule »,
et alors que je pensais que la capsule, c’était une petite soucoupe volante protectrice qui permet d’aller loin, d’aller se réfugier, de créer cette force enracinée dans les fondations que tu disais en béton armé,
la base de l’humanité, et sans cette base les ailes restent bloquées entre les homoplates.
Ensuite j’ai pensé que capsule, ça signifiait aussi médicament
Et contre vents et marées, je suis convaincue que le lien répare
Même si ce n’est pas le ton de l’époque, de notre société.
Mais, en cette société, il y a des oasis,
Dont je parlerais la semaine prochaine
car j’étais censée ne pas écrire en ce jeudi,
Mais, finalement, ce jeudi, je t’ai ouvert mon coeur
et jeudi prochain, les gitans !

23 février 2023

La révélation du chagrin

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« Donnez la parole à la douleur, le chagrin qui ne parle pas murmure au coeur gonflé l’injonction de se briser. » Shakespeare
Il y a quelques années, j’ai été prier dans une église parce que j’avais un gros chagrin. Alors que j’étais assise en sanglots sur un banc, un évêque s’approcha de moi et me demanda s’il pouvait s’asseoir à côté de moi. J’ai dit : « Oui. » Il m’a demandé si je voulais qu’on parle, j’ai dit : « Je pleure trop pour parler. »
Alors,
il est resté à côté de moi. J’ai pleuré pendant une heure, il est resté sans rien dire.
Puis, j’ai un peu parlé.
Il m’a demandé si c’était une histoire de coeur, j’ai dit : « Oui. »
Puis, il m’a dit : « Votre famille n’a jamais accepté vos choix de coeur. C’est ça, votre douleur. »
Je ne lui avais rien dit de moi.Et c’était vrai.
Il ne m’a donné aucun conseil, il n’a émis aucun jugement, il a vu en moi.
Si on veut guérir du chagrin, on ne doit pas le refouler, nous devons le déposer quelque part.
Nous avons besoin de consolation.
Plus nous avons un compagnon de consolation, plus le chagrin peut se purger. Et plus vite, il passe.
Or, bien souvent le chagrin est bloqué, car y a personne pour écouter notre peine.
Comme cet évêque ce jour-là.
Nous avons bloqué notre chagrin
car nous avons déjà été puni, abandonné, banni
pour le manifester. Dès l’enfance.
Y a donc un piège.
Plus on évite le chagrin, plus nous nous dérégulons. À en devenir fous et violents.
Une grande partie des troubles mentaux dont le trouble de la personnalité borderline vient de l’inhibition du chagrin car notre environnement a empêché l’expression de nos émotions les plus vives. Il nous a jugé, battu, maltraité pour qu’on le cache.
Mais, cette inhibition se paye très cher : ça provoque des crises de rage, des passages à l’acte, des comportements agressifs, des addictions, des auto-sabotages, des auto-mutilations… Les crises à répétition des borderline empêchent le traumatisme de remonter. Ça bloque donc sa réparation. Ces conduites d’évitement sont un cercle vicieux qui nous éloigne de nous-mêmes et dérèglent nos émotions jusqu’à nous perdre et perdre les autres.
Je pense à cet évêque et à sa présence emphatique et silencieuse, car elle est si rare. Je pense à moi qui ai été abandonnée par la personne que j’ai consolée comme elle n’avait jamais été consolée, comme je n’avais consolé personne.
Y a donc un piège.
En état de détresse, où on te lâche, ce qui est une inversion du processus naturel – qui est « chagrin nécessite consolation », que la société d’aujourd’hui a remplacé par « chagrin entraîne abandon »-, il s’agit d’avoir encore de la force pour ne plus jouer le jeu que nos parents, nos amis, nos amoureux, nos employeurs nous ont fait jouer, celui du petit clown qui ferme ses émotions pour être accepté.
En état de détresse, tenter le « je ne joue plus le petit clown », c’est accepter l’exercice très risqué de funambule d’être lâchée car en détresse,
car là où notre besoin d’écoute et de consolation est immense, notre société a fabriqué des bons soldats préférant l’agressivité aux pleurs. La destruction plutôt que la simplicité du chagrin. L’indifférence plutôt que l’empathie.
Tout ça on le récupère à la petite cuillère à l’hôpital psy.
Car
Toutes ces postures de petit clown, c’est
Pour que dalle, finalement.
Car, c’est jouer leur jeu de non-empathes.
Y a un piège : on n’a pas le droit à la consolation et on ne peut pas vivre sans le mouvement de nos vraies émotions pour être sains et épanouis. Ça se passe comme ça dans le cerveau : contrairement à ce que la France pense, les émotions ont un rôle dans le cerveau et la raison.
Et on massacre ceux qui ont du coeur.
C’est la cerise sur le gâteau.
Comment pouvons-nous exprimer nos émotions sans avoir peur de perdre l’être aimé qui est censé être l’épaule dont nous avons besoin dans une société qui a pour base l’individualisme, qui oblige à la maîtrise de soi-même et la réussite individuelle ?
Je ne sais pas.
J’ai perdu l’épaule de mon être cher
Puis,
j’ai retiré mon costume de petit clown, et bien sûr, y en a qui m’ont abandonnée avec des sales manières,
j’ai choisi mon chagrin et le mouvement de la vie
parce que je l’aime, cette personne,
parce que j’accepte qu’il est dans mon coeur,
et le chagrin qui va avec de le perdre,
Qu’il était mon épaule dont j’avais besoin
parce que les donneurs de leçon ne m’aiment pas, ils ne m’aimaient pas,
ils se nourrissaient du petit clown.
J’ai choisi mon coeur et sa brisure. Et celui qui est dedans.
Ceux qui m’ont jugée à me donner des conseils et des leçons, je ne les juge pas,
je comprends juste qu’ils sont un danger pour moi. Comme pour eux. Comme pour toute la société.
Mais finalement j’ai toujours mieux aimé Shakespeare à la morale à deux francs de ceux qui n’ont rien dans le coeur.
Qui se prétendent amis alors qu’ils sont tueurs silencieux.

16 février 2023

Le havre

C’est un des sujets qui m’est le plus délicat… Parmi ceux qui m’arrachent le plus de larmes.
Un sujet caché alors qu’il est au centre même de nos vies.
Les gens disent : « Les relations humaines sont compliquées. » En fait, c’est le lien d’attachement qui est souvent bugé et qui entraîne notre difficulté à la relation à l’autre,
car l’humain a besoin de liens mais vit comme si non.
Bien souvent. Bien souvent en France de nos jours. Car la France déteste le lien affectif. Et cette haine a toute une histoire.
On en arrive au pays le plus médicamenté en psychotrope du monde, là où d’autres se font des hugs, ici nous prenons des anti-dépresseurs.
C’est un choix de société.
Ce n’est pas le mien. Alors je pleure, je console. Et
C’est putain de transgressif. Dans ce pays.
Or,
nous avons besoin de liens sûrs
pour être sains d’esprit.
Beaucoup d’animaux fabriquent des liens sûrs et ça viendrait de la nécessité de se protéger des prédateurs. L’être humain est spécifique : le prédateur est un « humain » aussi.
Ce lien sûr nous permet de nous développer dans le monde et sa dureté.
Il crée un refuge où nous nous sentons en sécurité,
où nous pouvons nous abandonner à être nous-mêmes.
Les Anglais disent security qui ne signifie pas sécurité mais plutôt tranquillité.
Or, il y a un hic : si tu n’as pas connu ce havre, enfant, comment en construire un plus tard ?
Comment tisser un lien de confiance quand tu ne sais pas ce que c’est ?
Quand on ne t’a pas protégé.
Quand tu n’as pas ressenti la sensation de tranquillité, de sécurité, de protection.
Elle m’avait dit : « Le couple, c’est une cerise sur le gâteau » et je n’étais pas d’accord. Je serais donc plus anglaise… alors…
Toi,
tu disais que notre relation avec ce que nous traversions avait des fondations en béton armé.
En béton armé, ça me semblait bien un havre de solidité comme certains disent.
On s’en sort quand on trouve un compagnon de confiance.
Alors,
Comment faire ?
J’ai durant des décennies ressenti une profonde culpabilité à chercher cette sécurité
comme si ce n’était pas normal or ce n’est pas normal, c’est essentiel.
Mon environnement non validant puisque ne reconnaissant pas ce que je vivais, ni la détresse dans laquelle je vivais, m’a trop souvent poussé vers l’ »autonomie compulsive » (c’est une expression de J. Bowlby), ce dont je n’avais pas besoin : j’ai été bien trop autonome trop jeune à gérer seule des choses qui sont trop dures à gérer seule. Construisant ce mythe : « Marie se démerde seule » que mon environnement renforçait. En une spirale infernale.
Je ne savais pas que j’avais aussi droit à ce que tant d’êtres vivants sur terre ont besoin. Alors, j’avais honte.
Plusieurs fois, tu as donné mon nom et mon numéro de téléphone comme la personne à contacter en cas de souci. Et on m’a contactée !
Et faut voir qui m’a contactée.
C’était une question de vie ou de mort pour moi d’être
ce compagnon de confiance pour l’autre.
Quand en octobre, j’ai été à l’hôpital pour la consultation d’anesthésie (quinze jours avant l’opération), je suis restée immobile face à la feuille à remplir avec les coordonnées de la personne que l’hôpital pouvait contacter en cas de souci.
Qui mettre ?
Car si j’étais ta personne sûre, tu n’étais pas la mienne.
Après tout ce que nous avions enduré comme putain d’épreuves.
Dans un monde sain, ça serait impossible d’abandonner la personne de confiance.
Ou même d’abandonner quelqu’un de son espère, c’est pour ça que l’hospitalité est une exigence du code d’honneur ou de la charia (tu m’étonnes que les Français n’en veulent pas !) comme la rectitude (c’est-à-dire le respect de la parole donnée)
Les oasis accueillaient les étrangers au moins trois jours.
Tu étais mon socle et mon oasis
et tu l’es encore dans ma tête
Mais,
En sortant de l’hôpital, je crois que je me suis mise en état de dissociation. A cause de la feuille blanche et de qui peut venir me chercher à l’hôpital ?
Et toutes les images de quand j’avais été là (pour toi, pour d’autres) me revenaient et la dissociation a duré des semaines, voire des mois. Je ne sais pas si elle est finie.
Lire John Bowlby a été mon planche d’abordage sur le rivage. Car il met des mots sur ce que je vivais.
Il dit le contraire de ce que la plupart des gens pratiquent aujourd’hui en France.
Mais, moi, je suis d’accord avec lui.
C’est mon côté anglais,
mes gènes belges,
c’est moi.
Et il dit surtout que tout est normal dans ces larmes, il dit que certains savent qu’un coeur brisé peut nous tuer car que tout être humain devrait avoir un nom à mettre sur la fiche d’urgence.
J’ai été ce nom sur une fiche. J’ai été un havre de solidité. J’ai été le compagnon de confiance.
Tout être a besoin d’un havre, d’une personne à appeler en cas d’urgence.
Je n’ai plus à avoir honte.

9 février 2023