La perte

Jeudi est mercredi cette semaine car demain… Demain non.

« Les médecins de famille, les prêtres et ceux qui sont doués de sensibilité savent depuis longtemps qu’il existe peu de coups infligés à l’âme dont la puissance soit supérieure à celle de la perte d’un être cher et proche. La sagesse traditionnelle reconnaît que l’on peut être écrasé de chagrin et que l’on peut mourir d’un coeur brisé. » Quand je découvre cette phrase de John Bowlby, je tremble. Quelqu’un sait. Quelqu’un a su. Écrite en 1967 où sans doute il y avait encore des médecins de famille, de prêtres et des sensibles… et une sagesse traditionnelle ! Elle résonne avec le texte que je tape aujourd’hui, ce texte où j’ouvrais mon coeur brisé avant de lire Bowlby :

« Rien ne me fait plus peur que de te perdre. » Quand j’ai dit ça en arrivant à l’hôpital, ils m’ont tout de suite internée. Et sans le dire, je connaissais le diagnostic qu’ils avaient posé sur moi. On a, nous, une si grande peur de perdre que ça nous rend autres. Ça fait de nous des êtres différents. Différents de ceux qui disent : « C’est normal de ne plus avoir de nouvelles des gens, c’est normal que les gens te lâchent au premier inconfort émotionnel. » Alors, nous sommes différents, nous, quand eux, hamsters dans la roue : « Tout va bien tout va bien. » D’ailleurs, c’est moi qui suis entrée à l’hôpital.

Les liens qui nous unissent, je les porte. Je les porte seule, je suis habituée à porter les liens seule comme une Africaine porte la jarre d’eau sur la tête. Elle va chercher l’eau au puits, c’est elle qui manie la corde pour activer la poulie qui descendre le seau jusqu’en bas. J’ai cherché à tresser ces cordes pour les liens dans ce monde où la capacité à cette faculté vacille. J’ai cru en ces liens qui nous unissent sans pourtant avoir reçu la base à la base. Tout était donc périlleux.
Et pourtant, « pouvoir être en sécurité avec les autres est la base de la santé mentale ».
Or je ne suis pas en sécurité au milieu de ces gens qui ignorent le chagrin d’un coeur brisé.

C’est donc moi qui suis entrée à l’hôpital pour avoir tissé ce lien.

15 mars 2023