En sa puissance

L’homme chantera à la source demain dans cette vaste prairie. En attendant, nous tissons des colliers de fleurs, assises dans l’herbe. Ils nous ont dit de rester là pour quelques jours, en espérant l’assaut qui mettrait fin au combat. Nous divaguons comme les heures passent sous le ciel bleu. Lise avait déjà parlé de lui, elle croyait en sa puissance, en son intelligence, en sa capacité à diriger. Et je lui demande comment il est physiquement. Elle sourit sans rien dire. Et je souris à mon tour. Nous avons encore cette difficulté à nommer les choses. Je ne sais pas si ça vient de notre pudeur, de notre manque de vocabulaire ou de tout ce qui nous arriva ces derniers jours.

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– On en sait jamais. Toi seul connaît ce que tu aimes.
– Pourquoi tu me dis ça ?
– Tu gardes secrètes tes intentions d’amour. Je t’ai vu secourir la voisine du premier étage, sans aucune autre raison que de la secourir. Pourquoi elle, ce jour-là ? Et ensuite tu te comportais avec elle, avec ce que j’appellerais un certain amour, sauf que tu fiais : « Pas du tout. » Ça avait l’air tellement gratuit, comme innocent.
Tu te levas, surpris par ma remarque. J’eus peur que tu te fâches. Je ne sais pas pourquoi, car tu ne te fâches jamais.
– Tu me connais si peu ?
– J’ignore ce que tu aimes, ça me laisse un doute à ton endroit.

Et là, tu te mis à pleurer. Debout. Face à moi dans la cuisine.

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Aujourd’hui, comme tous les jours, nous sommes blondes. Blondes et belles. Les autres nous envient. Nos cheveux raides atteignent nos fesses. Et lorsque le printemps vient, la lumière les fait dorer. C’est ça, la lumière des blonde. C’est indescriptible. Ça adoucit, ça donne cet air d’ange, ça rappelle la pureté, ça rappelle une grâce, quelque chose de non-entaché. Et le soleil qui les traverse, quand tu es à bord du bateau, sur la mer azur, ça claque, j’avoue. Le blond de nos cheveux, comme celle des épis du blé que nos doigts effleurent quand nous les longeons.
Aujourd’hui, comme tous les jours, nous sommes insaisissables. Si nous sentons leur souffle, le souffle des jaloux, visant nos nuques, nous disparaissons dès que les crocs se dégagent de leurs lèvres retroussées.

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Philou habite dans une ampoule. Il tient une bougie, il regarde la flamme dans son habit de nuit: un bonnet pointu, une cape parsemée d’étoiles, un pantalon large et des petits chaussons. C’est Lucie qui l’a mis là et il est heureux. Ils se sont rencontrés dans le bois. Normalement personne ne le voit. Sauf que Lucie, ce jour, l’avait remarqué alors qu’elle allait prendre son bain dans la petite mare. Philou avait rougi, elle lui avait parlé. Mais d’où sortait-elle ? Il n’avait jamais vu une telle créature. Il voulait qu’elle l’emmène avec lui. Mais il n’osa pas lui dire. Pourtant, après une après-midi à se baigner entre les nénuphars, à manger des cookies trempés dans du lait, à sauter dans les herbes, c’est ce qu’elle fit, lui demander :
– Philou, veux-tu bien que je t’emmène chez moi ? C’est une petite hutte à deux pas d’ici.