Chevalier d’amour

ll se retourna vers le sablier vide et cria. Il avait réussi à vivre jusqu’ici parce qu’il savait passer au travers du chas d’une aiguille. Il pouvait se montrer d’une souplesse câline et salvatrice, c’est elle qui lui avait permis de garder son coeur attendri. À cause d’un ongle incarné, et autres tracas, il avait saisi la balle au bond de mon âme. Ça nous avait sans doute sauvé tous les deux, alors que nos destins à chacun nous avaient placés sur le fil entre deux grattes-ciel tels des funambules. Je dis ça parce que je sentais demain vivant. Quand j’entendis son hurlement, je sus qu’il était en train de se transformer en chevalier d’amour, que lorsque le crépuscule irradierait en son cri d’un ciel nouveau, nous serions prêts à partir sur la flaque de sel tranquille, en dépit de la marée enfuie.

Après quelques jours de silence, la montagne disparut. La forêt resta droite et digne, les insectes colorés se mirent à la convier jusqu’à l’honorer. Après quelques jours de silence, il revint à la parole par des bribes de mots, des mots courts. C’était cette fille qui était venue à lui, à la cime où il s’était réfugié suite au déluge qui avait tout détruit de sa vie. C’était elle qui le prit dans ses bras à elle alors qu’il s’était dévoué à la montagne. Il avait oublié les détours des êtres humains, leur façon de faire, de non-faire et de défaire. Il s’était fondu dans la majesté naturelle et quand cette fille était entrée là, dégoulinante de l’eau de la pluie, il avait été frappé par ses petites chaussures mouillées.
Rien que ces pieds de femme sur le palier de sa maison, ça lui fit battre son coeur comme s’il avait un bout de quatre-quart au milieu de la poitrine. Rien que son visage à elle avec ses joues rebondies, rougies par l’air pur, avec l’esquisse d’un sourire masquant à peine à quel point elle était épuisée de tout ce qu’elle avait traversé.
– Entrez.
Quelqu’un qui lui proposait d’entrer
Après toutes ces années de portes fermées. Ça lui faisait envie, ça lui brulait le bout des doigts, ça lui donnait envie de courir en dévalant vers la plaine. Sans frein pour jouir de toutes ces caresses perdues qu’elle pourrait récupérer à foison en retour, en contre-échange, de toutes les stries des violences qu’elle avait subies depuis le déluge qui avait tout détruit de sa vie.
En retour, de l’amour à profusion et en épis.