Le gitan Deuxième étape

Je reprends la rencontre que je voulais raconter la semaine dernière.
Le gitan, et mon émerveillement.
Je me souviens qu’enfant, je voulais que des gitans m’enlèvent. Certains habitaient au bout de ma rue, d’autres en face de la piscine où j’allais deux soirs par semaine.
Quelques jours après, je vois un livre sur ces gens-là « par hasard » à la bibliothèque que j’engloutis direct.
Car d’où vient mon attirance enfantine ?
Ça existe depuis longtemps la fascination de ceux de la bohème, leurs apparats de saltimbanques, leur noblesse, la respiration du bouffon du roi, celui qui dit, celui qui prie, le poète avec une plume dans les cheveux. L’appel de la marge, de l’interstice, de l’à-côté dans un monde où un unique point de vue nous est imposé. La marge comme miroir.
As-tu déjà pensé que chez les gitans, y a pas de roi, ou il est caché sous les chiffons d’un gueux. Et ce qui dérange les autorités françaises, c’est que les gitans n’ont pas de représentant et la France n’admet pas cette absence de représentants.
Dans le livre, un gitan dit : » Nous sommes un peu en arrière du monde des gadjé »,
vouloir se réfugier dans un monde parallèle qui fonctionne autrement
Un oasis après la guerre, car tu sais de quelle guerre, je reviens,
Toi, tu le sais un peu.
Quand tu es une paria, quand tu es bannie, où aller ?
L’oasis avec ces quatre piliers : l’honneur, l’hospitalité, la rectitude et la loyauté (le code d’honneur albanais), où est-il ?
Rencontrer un gitan, comme les gitanes quand je faisais ces voyages pour te voir.
Car, eux ne lâchent pas l’un des leurs. Ça passe avant tout.
Je répète inlassablement ce besoin de liens affectifs sains que cette modernité occidentale se vise à détruire pour nous fragiliser individuellement et ça fonctionne à fond car ils sont beaucoup à trouver ça super cool.
Un des psy que j’ai enduré m’avait dit que je réagissais comme une Inuit :
– Quand la glace a cassé, vous alertez le village car il en va de sa survie.
Oui et alors ?
Comment vivre dans un monde où ils te regardent comme un extra-terrestre parce que tu préviens quand la glace brisée menace le village ? Ou ils te crachent dessus pour ça…
Chez les gitans, on appelle « commis », c’est un gadjo en rupture (sociale, familiale et/ou psychologique) accueilli dans une famille du Voyage. En échange d’être nourri, il exécute une parie des tâches de la vie du Voyage.
Un refuge. Ce que je nous voulais dans la love capsule.
Ce que je me voulais depuis que je rêvais d’être enlevée par une famille du Voyage.
Dans le livre que je lis sur les tziganes, j’apprends des faits a contrario des idées reçues fabriquées par le dominant.
Par exemple,
Les gitans ne laissent pas quelqu’un dormir seul. Ah, c’est sûr, ils sont loin ! On a observé que les victimes de violences conjugales guérissent mieux quand elles sont dans une maison où elles entendent le bruit des autres (et je peux en témoigner). Or en France, les victimes de violences conjugales se retrouvent dans une immense solitude. Parce que ce pays est dingue !
Cette solitude empêche le traumatisme de guérir. Et ça fait bizarre car y a aucune issue à part prier pour un oasis, une gitanerie qui t’abriterait, une main tendue, une porte ouverte.
Or ici ils ne savent plus faire. On te laisse dormir seule chez toi après les coups… Normal wouaich
Or, il faut rencontrer un extra-terrestre… Des extra-terrestres. Des d’un autre territoire.
Par exemple, les tziganes font
« le choix de la suprématie de l’échange direct, de la présence physique de l’interlocuteur, du temps passé ensemble. » Tu la vois, la différence ? C’est ainsi que je te tenais à te voir en direct. Quelque part je ne suis pas de ce pays, car d’ailleurs j’étais bien seule là-bas, vu que ça ne se fait pas ici.
Et oui,
ça change du ghosting, de la communication par écrans, du culte du confinement, de la relation « liquide », de la dislocation de la discussion à bâtons rompus.
En conséquence, les tziganes refusent le collège où le temps est séquence en heures et changement de professeur, où il n’est plus possible de solliciter le maître ou la maîtresse et de négocier avec lui/elle. »
Par exemple, ils écoutent la demande de l’enfant concernant ses besoins, c’est pour ça qu’ils ne le mettent pas à la crèche ou à l’école maternelle. Sachant que les anciens passent avant l’enfant.
Je me souviens de mon envie enfantine de sabots et de ces habits de toutes les couleurs superposées comme ces femmes dans le petit village d’Abyaney en Iran, les grandes boucles d’oreille, cette puissance comme une virilité incarnée, cette nécessité d’en découdre en chair et en os,
ces couilles portées,
celui qui s’engage et qui va jusqu’au bout.
À 26 ans, Dylan parle comme ceux qui ont déjà vécu,
rien d’extraordinaire en des temps sains,
et cette simplicité semble devenir de plus en plus rare,
Cette respiration, cette présence au vivant,
Cette présence d’hommes.
Je voulais que tu m’emmènes
et lui dit : « Ma femme est versaillaise. »
Cette mixité sociale des extrêmes, ça donne une sensation de liberté :
Ça fait homme.
Je te choisis, je te prends entière,
Moi,
Entier.

2 mars 2023