les grands hommes

Si j’ai attendu si longtemps, c’est que je savais que les retrouvailles guériraient ma blessure la plus profonde. Qu’elles cautériseraient cette béance qui me tordait de douleur. Les sachant imminentes, je semais des cailloux, avec la conviction que je basculerai dans un autre monde alors que nous serions à nouveau réunis. Ce n’est pas commun de vivre dans la perspective de retrouvailles. Ça demandait un réel talent et un courage fou digne d’une autre époque.

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Les grands hommes sont au fond des vallées. Et le petit homme les attend. Il les attend depuis son enfance où son père lui avait dit : « Ils viendront, sois prêt. » Ils s’étaient tous deux préparés année après année à leur venue. Le petit homme vit son père mourir, il continua à attendre. Il sut qu’ils étaient arrivés dans la vallée car les feuilles étaient devenues jaunes et l’air froid.

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Le dix-sept jour après s’être inoculé le virus, il se rendit chez sa soeur. Il resta deux mois dans la cabane au fond du jardin. Il pratiquait la méditation matin, midi et soir. Il jardinait, il peignait, il cousait des vêtements, il devenait beau, ses cheveux poussaient, sa peau s’éclaircissait. Depuis que celle à qui il avait donné son coeur était partie, il se transforma. Il s’était mis à rêver comme jamais, des rêves irradiés de lumière dorée où l’herbe se faisait douces, où la chaleur humaine avait une odeur rassurante, où il sentait un manteau de sécurité, son énergie se décupla. C’est alors qu’il investit la cabane laissant la grande maison à des réfugiés qui en prenaient soin. Lorsqu’il sortit la première fois, il fut choqué par l’allure des gens. Il consulta son médecin qui lui prescrit la dose. Il accepta. Il devait revoir sa soeur au moins une fois. Pour une raison très précis et absolument nécessaire. Et pour cela, il devait sortir, ceci devait passer par la dose. Elle le protégerait. Lui, il allait trop bien.

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Etienne, cet homme qui adorait se reposer
Partit sans crier gare jusqu’à s’égarer
Sa vie lui pesait tel un étranglement
Il passait ses journées à enduire
Des maisons, il en perdait la force d’éjaculer
Il rêvait de s’étendre face à une mer moutonnée
Y fermer les yeux pour retrouver les collages
De son enfance, libre comme un serpentin.

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Le chevalier chevauchait dans la vallée. Cette vallée qu’il avait quittée dix ans auparavant. Seul dans le noir, il goûtait le souffle de son cheval, la transpiration sur son torse, son coeur aux aguets. Un jour, il avait posé le genou à terre avec une ferveur digne d’une jeune communiante. L’allégeance le comblait, servir les plus faibles lui plaisait. Il se souvenait du regard de son seigneur quand il plaça l’épée sur son épaule. Dans l’obscurité, il sentait les muscles de ses cuisses, la bride dans ses mains et ainsi il pensait ressentir l’univers tout entier. Il appréciait ce silence dense des sons de son être et de la monture, qui écrasaient ceux de la nature. Chaque jour, pendant ces années, il avait visualisé ce retour qui était son cap, sa lumière au bout du tunnel, sa prière. Quand il franchit la porte, il entendit sa voix prononcer son prénom.