Toute la vie

Et avec cette chaleur, j’ai enlevé mes vêtements et ouvert les fenêtres. Il n’y a pas un souffle d’air. La brume recouvre les toits et l’horizon. C’est comme si j’avais pris l’avion dans la nuit. Hier il pleuvait, hier il y avait du vent et il faisait frais. Puis ce matin, la brume de chaleur a pris possession du paysage. Et il y a la moiteur. Tout l’été, je t’ai demandé si tu voulais partir avec moi. Tu n’as pas répondu. J’ai renoncé. Et c’est l’été qui, finalement, est venu à moi. Toujours sans toi.
Et sur le sable, à la plage, je chante une chanson de Joe Dassin que j’ai tellement écoutée et je me dis que le temps n’existe pas, car toute la vie sera pareil à ce moment,
Que toute la vie je t’aimerai et prends conscience que ma vie est contenue dans une chanson.

Case départ

L’innocence,
Ce n’est pas demain,
Ce n’est pas la dernière fois que je t’ai vu
Ce n’est pas le couteau planté dans le coeur de ta mère
Ce n’est pas la ligne blanche de poudre sur la table de la cuisine
Ce n’est pas la mer à boire
Ce n’est pas les sous-entendus de Rochard que je ne comprends pas
Ce n’est pas les insultes répétées du voisin à ma voisine
Ce n’est pas le braquage de Zacharia en Allemagne il y a quelques mois
Ce n’est pas la voix étouffée au téléphone d’Espagne qui me répète qu’elle m’aime.
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L’armoire est tombée. Il était temps. Depuis des mois que j’avais prévenu. C’est dans cette chambre en haut du chalet toute faite de bois, avec une fenêtre sur la vallée et la montagne. Cette chambre où je t’ai caché des semaines, quand je te pensais mon trésor. Je la voulais nue, j’avais demandé qu’on dégage l’armoire. Et pour tant je l’aimais bien, pleine de linges propres avec des petits sachets de lavande. Tu me diras, elle est juste tombée. Nous étions absents, nous étions loin. Caroline téléphona pour nous le dire. J’ai ri. Tu m’as pris la main. Je rappelai Caroline pour lui demander d’aller chercher Mathias et ses gars pour l’emporter, ou tout au moins la déplacer. Et je t’ai dit : « Et si on ne rentrait pas ? »
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Retournons à la case départ sans passer par la case prison. Maintenant pour m’endormir, je rêve à cette case départ, où je me sentais si bien. Et j’imagine comment ça aurait pu se passer autrement, et ça me rend bien. Tu vas me dire que ça, c’est vivre en dehors de la réalité. En fait, la réalité se passe dans mon cerveau. Cette case départ, c’est l’île où je me réfugie et tu sais quoi, je vais y rester. Toujours, et après mon dernier souffle, je vais demander à y être enterrée.
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J’ai commencé à fumer avec Vanessa. La plus dévergondée, c’était elle. Elle couchait avec des garçons depuis l’âge de douze ans. Jusqu’au jour où elle a été embarquée pour une tournante. Ils l’ont massacrée sale, elle devait avoir seize, dix-sept ans et quasiment tout le quartier l’avait déjà fourrée. Mais la tournante, franchement, c’était autre chose. Quand elle revint de là, rien ne paraissait sur son visage. Nous continuâmes à fumer dans la cour, les garçons continuaient à lui parler dans un seul but. Elle riait, s’habillait, parlait de la même façon, comme une fille que tout le monde veut parce que tout le monde l’a possédée. Comme ces filles dans certains films. Comme ces filles qui cachent si bien leurs fêlures que si peu voient. Ils pensent qu’elle ne ressent rien. Tout ça, ça allait bien jusqu’au jour où un des garçons présents le jour fatal que personne ne considéra comme fatal, vint me parler. Il s’avança vers moi et me donna rendez-vous pour dans l’après-midi, dans un lieu si loin de la cité que je n’avais aucune idée de là où il se trouvait.
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Ma vie est trop courte pour faire du pain au levain. Et je le fais tous les jours. Ta vie est trop courte pour laver mon linge à la main. Et tu le fais toutes les semaines.
Notre vie est trop courte pour aller au supermarché, et toi, tu adores ça à t’en perdre dans les allées, et en te cherchant, je crois toujours que tu as été enlevé par des extra-terrestres. Mon coeur s’arrête de battre, je suis comme saisie d’un sirop. Ça colle dans mon corps.
La vie est trop courte pour être immobilisée par la peur. Et pourtant, combien de fois le temps est-il passé sans que je ne puisse rien faire dedans, tétanisée, figée, engluée de sirop.
La vie est trop courte pour ne pas aimer, et je les vois assis sur le rebord en béton, sans aimer, sans être aimés.

un crapaud dans la mare ?

Près de la fenêtre, je regarde la nuit et j’écoute le froid. Le temps disparait comme les battements de mon coeur ralentissent. Le silence m’enveloppe. Une ombre de l’autre côté de la vitre. Dedans. Une bougie va s’allumer, tout est présent, le passé a été englouti depuis que j’ai quitté le chef d’oeuvre en cours, et le futur n’est pas.
Cependant je le sais une bougie va être allumée. Elle s’inscrira en tant que premier moment du temps à venir.
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Un soir, le roi tapa à sa porte. Elle ne répondit pas. Il recommença, entendant le petit loquet. Il dit : « Ouvre-moi, belle fée. » Elle ouvrit et là, il la découvrit en larmes, elle toujours à fond, toujours sur le coup, toujours gaie. Il lui demanda :
– Que t’arrive-t-il ?
– C’est le soir.
– Tous les soirs ?
– Oui, mais entre si les pleurs ne t’effraient pas.
– Non, cela ne m’effraie pas. Dis-moi si je peux y faire quelque chose.
– Entre d’abord.
Il s’assied sur la liseuse, à côté de la cheminée.
– Tu me racontes ?
– C’est un sort que ma mère m’a lancée à quinze ans.
– Mais pourquoi qu’est-ce qui lui a pris ?
– Elle était en rage à l’époque.
– Et il n’y a rien à faire ? Un génie dans une lampe ? Un crapaud dans une mare ?
– Je serai délivrée le jour où j’embrasserai un homme que j’aime.
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J’aime tellement t’imaginer m’emmener dans une clairière en un début de mois de juillet. J’aime tellement le voir en image dans mon cerveau quand je ferme les yeux. Et la vivacité de ces visions conscientes et désirées est si vive qu’elle balaie la moisissure de ton absence. Car,
c’est une question de temps, l’absence
et non d’espace.
une question d’étirement temporel
et non d’une béance.
Tout de toi a acquis l’expérience.
C’est ainsi que j’aime cette clairière que j’ai créée mentalement pour t’y retrouver. J’y suis toute pleine de mon être, défaite de l’échancrure de la culpabilité qui a été la cause de tous mes malheurs. Les odeurs, cette sorte de pénombre douce, le tapis de mousse, mes poumons s’élargissent, alvéoles gonflées, c’est bon sans le poids de ces actes que je n’ai jamais commis, et qui me furent reprochés. Jour après jour jusqu’au jour où j’eus l’idée de disparaître de la terre. En moi résonnaient les litanies des listes ce que je n’ai pas fait. Ce que je n’avais pas fait.
Oui, je n’avais pas mis le pantalon rose, parce que je ne possédais pas de pantalon rose.
Oui, je n’avais pas versé d’argent sur le compte de cet individu parce que je ne possédais pas d’argent.
Oui, je n’avais pas menti à mon prochain, alors oui, les larmes étaient montées à mes cils, oui ma voix avait été douce face à la colère et le sourire n’avait pas quitté mes lèvres.
Oui, j’avais saisi mon crayon en vain, presque chaque jour pour y déposer de la poésie.
Oui, il n’y avait pas d’édifice suite à mon labeur, oui c’était quelques feuilles colorées.
Oui, ma mère m’en voulait de ne pas avoir su trouvé la sécurité, elle me chargeait de sa peur. �Alors c’était bien depuis toujours pourquoi on me disait que je devais être autrement que ce que j’étais.
Avec un pantalon rose, riche, salope avec cette feinte mièvrerie qui donne l’impression aux hommes d’être forts alors qu’ils ne savent qu’aboyer.

Un orang-outan chez moi

Des cercles barrés descendent du ciel et rebondissent sur la pelouse verte. Le vent est arrivé subitement un matin. J’eus peur de ce soudain emportement. Les feuilles déguerpirent en une seconde et nous plongeâmes dans une marée de berlingots, nous nous envolâmes dans des serpentins de guimauve.
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Aujourd’hui j’ai un orang-outan avec moi. Il m’a suivie jusqu’à la maison. Au départ, il était loin puis, il s’est rapproché. Quand je me suis retournée, j’ai cru que j’hallucinais, que j’avais bu trop de café, que mon mec échangé mon bout de cbd avec du shit. Je me suis un peu approchée et non, je ne rêvais pas : c’était bien un jeune singe exactement comme le tatouage d’Audrey. Ses grands yeux s’écarquillèrent. Il avait peur. Alors je lui parlai et me retournai pour continuer ma promenade. Et arrivée devant la porte de chez moi, je l’invitai à entrer. Il se laissa apprivoiser tout en gardant quelque temps son regard inquiet. Maintenant je le prends avec moi, c’est pourquoi aujourd’hui j’ai un orang-outan avec moi.
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Fred vivait dans la rue. La peur de perdre sa maison le tenait au ventre depuis si longtemps qu’il décida de la quitter pour enlever cette peur. Et à partir de ce jour-là, il fut heureux et il ne le dit à personne. Car il savait qu’ils voudraient le faire disparaître s’il avouait sa joie de ne pas avoir ce pourquoi tant de gens devenaient dingues. Personne ne savait où il allait se réfugier la nuit. Ça, c’était la quintessence de la liberté. Y a quelque jours Hannah lui avait confié son bébé et Fred aimait s’en occuper. Tout deux passaient des soirées ensemble, planqués du monde. Fred savait qu’Hannah reviendrait, mais il ne savait pas quand, il savait qu’elle était partie tuer son proxénète. Enfin !
Certaines histoires se résolvent ainsi. Par une balle dans la tête.
Quand elle revint, il lui proposa de s’asseoir à côté de lui.
Avant qu’ils se mettent à parler, il tint à l’emmener dans la station-service. Elle choisit une table près de la fenêtre, il la rejoignit en tenant un gobelet en carton dans chacune de ses mains.
– Vas-y, dis-moi.
– Te dire quoi ?
– Pourquoi tu ne l’as pas fait ?
– Comment tu sais que je ne l’ai pas fait ?
– Ton regard, ta démarche, ton odeur.
– Tout ça ?
– Raconte-moi.
– Sinon tu ne me rends pas mon bébé.
– Exactement.
Elle sourit, car elle sut que la prochaine fois, elle n’irait pas seule et qu’elle tirerait sur l’enfant de salope qu’elle avait fui après avoir rencontré Fred dans la même station -service.
– Je n’ai pas appuyé sur la gâchette car au moment où j’allais le dégommer, une petite fille est entrée dans la pièce. Et je l’ai regardée, ça m’a bloquée. Je ne pouvais pas le tuer, pas devant un témoin, encore moins une enfant.
– C’était la sienne ?
– Non, ce n’était pas la sienne.
– La tienne alors ?
– Comment tu sais ?
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Avant cette histoire de mains, tu avais commencé par les baisers. Des baisers rouges pour aller droit au but. Tu ne faisais pas d détour, pas dans tes actions. Je me souviens de cette abeille à ta chemise, et bien sûr, tu oserais la délicatesse à la prendre, car tu balançais cet éclat de rire, en te foutant de tout sauf des détails, sauf de la manière, tu m’achetais des espadrilles rouges, et tu approchais tes lèvres du col de mes robes, robes que tu tançais du regard, à notre époque, ça ne se portait pas tant que ça, les échancrures dans le dos. Nous usions le temps, filant comme une étoile filante, et ça faisait ud chaut, tu m’extirpais de ma solitude, tu arrachais les boutons de ma robe, tu arrachais les pétales de mes insomnies, tu défrayais la chronique.

Le détonateur

Au lieu de continuer à parler, je vais crier, hurler, taper du pied. Nabi m’avait choquée de sa vérité tranchante qui me nettoya de tous les mensonges dont on m’avait bourré le cerveau. J’aimai l’épée nue de ses mots m’extirpant du brouillard inconfortable dans laquelle mon enfance m’avait plongée. Nabi avait dit : « L’Occident désamorce l’émotion » avec une rage qui me rendit à la nudité de vivre, qui me donna l’impulsion de révéler mes enragements à la grande lumière. Alors, Nabi, c’était donc ça : le désamorçage de ces gens, la froideur d’un père aux élans de l’enfance, la nôtre, l’indifférence en échange de l’apparence de la bienséance, ils désamorcent la bombe en la détachant du détonateur. Je suis le détonateur, je suis le poète qui décolla le faux pansement que tu avais mis sur ton coeur. Et maintenant j’en suis fière.

Pas de détour

Je range ma maison avant que le printemps arrive. Une horde d’enfants va débarquer et je m’arrange pour cacher toutes les preuves de ta venue.
Je range le jardin où tu as planté des petits arbustes et des légumes pour que nous puissions manger des tomates cet été.
Je range ma voiture car le gitan vient la récupérer demain.
Je range la cabane au fond des bois, près de l’étang car la fille du voisin y vient le week-end prochain.
Je range ma tête car elle s’est mangé un coup.
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Cet homme est dangereux. Il a sauté sur la fille pour l’étrangler. Elle lui a mis un coup de pied dans les burnes et l’assomma avec un livre qui s’est trouvé sous sa main. Et ironie du sort ! Le titre sur la couverture écrit en jaune sur fond noir, c’était : « Cet homme est dangereux. » Il s’évanouit. Il aurait dû se méfier d’elle. Il ignorait qu’elle avait passé dix ans à tapiner. Et oui ! Pourtant ça se voyait dans son regard qu’elle avait un putain de vécu. Le principal souci de cet homme, c’est qu’il ne voyait pas les autres. Car, pourquoi lui avait-il sauté dessus ? Aucune raison. Juste son cerveau qui s’allumait de façon imprévisible et jamais il ne se posait de questions sur son attitude. Pourtant son dossier était épais. Elle se releva, en se dégageant de son corps. Elle prit son téléphone : « John, ça y est. Il est K.O. »
Puis,
elle alluma une cigarette qu’elle fuma à la fenêtre ouverte sur le lac majeur : un lieu beau et chiant. Tout ce qu’elle aimait. John débarqua avec son acolyte. Ils ficelèrent l’homme et l’embarquèrent. Un homme se croyant dangereux devrait toujours se méfier d’une inconnue qui l’accoste.
Elle rit et se servit un double whisky. Ça, c’était fait.
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Avant cette histoire de mains, tu avais commencé par les fleurs. Des fleurs rouges pour aller droit au but. Tu ne faisais pas de détour, pas dans tes actes. Je me souviens de cette fleur à ta chemise, et bien sûr, tu oserais la chemise à fleur, car tu balançais cet éclat de rire à la vie, en te foutant de tout sauf des détails, sauf de la manière, tu m’achetais des fleurs encore et,
tu approchais tes lèvres du col de mes chemises, chemises que tu tançais du regard, à notre époque, ça ne se portait pas tant que ça, les chemises. Nous usions les trains, filants comme notre train de vie, et ça faisait du chahut, tu m’extirpais de moi, tu arrachais les boutons de ma chemise, tu arrachais les pétales des fleurs, tu défrayais la chronique.
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Un homme dont le col était relevé se détacha du platane ; elle reconnut son père. L’enfant lâcha la main de sa mère et courut vers lui. Elle détourna le regard. Évitant la vision de l’effusion. Ils ne s’étaient pas vus depuis dix ans. Elle ignorait comment il les avait retrouvés. Elle était partie sans laisser d’adresse. Elle avait quitté la ville sans prononcer un mot. Et là, les bras ballants, elle se demanda comment son fils avait eu cet élan, en une seconde. Ce pouvoir de cet homme sur son petit, elle en frissonna.

Retournons à la vie

Quand j’étais une planète, je prenais soin des rayons du soleil et je tournais en toupie autour d’une autre planète. Tout ça mûe par la conviction que c’était en vain. Personne ne nous avait révélé la raison de cette miraculeuse harmonie. J’avais envie de savoir. Mon amie m’invita à regarder un jeune homme : « Il t’a regardée de là où il est, il t’a guettée, puis il t’a attendue. »
Et alors ? Elle dit : « À toi de le regarder. » Le jeune homme semblait guéri.
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Retournons à la vie, la vie qui nous a été prise ce matin d’automne où les flics sont arrivés alors que nous étions planqués dans cette maison depuis quatre ans.
Retournons à la vie, la vie qui nous avait été promise quand nous étions entrés dans cette armée.
Retournons à la vie, la vie que nous avions prise à certains pour notre liberté,
pour défendre notre langue,
cette langue unique, toi qui m’avait dit : « Notre langue, c’est nous. »
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Ce jeune homme est joyeux et taquin. Car il sait que c’est un réel défi de poser sa joie dans la grisaille de cet hiver teinté du bleu des masques qui ne servent à rien qu’à vérifier notre docilité.
Il me rappelle cet homme que j’ai rencontré loin de tout dans un endroit digne d’Alcatraz et qui souriait tout le temps l’air de dire : « Ils n’auront jamais mon sourire » et quel sourire ! Il gardait en lui une éternité, un je ne sais quoi de pichenette au passage du temps, une innocence nécessaire à la résistance au cynisme ambiant. Par ce clin d’oeil, le jeune homme te dit : « Ne t’en fais pas. » La joyeuseté est une arme de courage, elle te permet de garder la foi et l’énergie, et de se faufiler entre les gouttes de pluie.
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Tu pleures. Es-tu triste ? Que t’est-il arrivé ? Tu as une bouche en coeur qui est un appel à la vie. Qu’est-ce qui peut te faire souffrir alors que tu arbores tes lèvres en forme de brioche , comme si la vie était moelleuse, comme si la vie pouvait être facile.
Je sais on cache les larmes, car la tristesse est interdite, comme si les émotions étaient bannie.
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L’homme lui prit la main droite sous la table. Elle lui dit : « Ta peau est sèche. » C’était un endroit où on n’avait pas le droit de se toucher. Les surveillants y veillaient. On ne se touche pas, on ne se touche pas le bout des doigts. L’homme lui prit la main et elle avait souri, car c’était comme aux jeunes âges où se prendre la main, c’était important.
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Si quelqu’un met ses pas dans les miens, il ira sur le chemin de la forêt pour me trouver. Les pas ne sont visibles qu’à certains. Ce sont les pointillés qui mènent à l’autre, l’autre dont on voit les pas. J’ai fait beaucoup de route pour aller à l’autre. Puis, je me suis installée dans les bois. J’avais arrêté d’attendre, j’avais arrêté de suivre des pointillés, des pointillés comme des points de suture, comme si le lien à l’autre pouvait recoudre ce qui avait été défait et coudre ce qui n’avait pas été cousu. Comme si mettre son pas dans les pas de l’autre pouvait tisser un lien, un lien vrai.
Le docteur lui tendit l’ordonnance en l’enveloppant d’un doux regard. Il prit la feuille de ses bouts de doigts ensanglantés. Il avait escaladé le mur jusqu’aux barbelés. C’était qu’il voulait s’évader pour aller jusqu’à la montagne. Ils l’avaient repris, ils lui avaient rasé les cheveux et maintenant il regardait la télé.

Et le ciel devint rouge

Une fée vint au château avec un tigre blessé à une patte. Le roi, amoureux de la fée, lui accorda son hospitalité, lui assurant qu’elle pouvait rester tant qu’elle voulait. Au fil des jours, qui devinrent des semaines, la fée soigna la patte, armée d’une patience surhumaine, en même temps c’était concevable vu que c’était une fée. Elle l’aida à affronter l’agressivité que la douleur provoquait chez l’animal. Quand elle s’approchait de lui, il cherchait à la mordre. Mais il ne la mordait pas. Car elle s’avançait avec une douceur chargée de confiance et de fermeté. Elle connaissait les secrets des blessures, ce qui était très rare à cette époque.

Le roi possédait un secret et personne n’était au courant. Cet homme ouvert, joyeux, généreux qui aurait pu penser qu’il cachait quelque chose ? Il aimait une fée, elle s’appelait Fata. Elle détenait le don de provoquer des rencontres engendrant l’amour durable entre deux êtres. Cependant l’ironie du sort faisait que le roi n’avait pas le droit de vivre son amour pour elle. Elle voyageait par monts et par vaux s’occuper du coeur des autres, en oubliant le sien. Elle tenait à son amitié pour le roi qui l’accueillait au château, mais elle repartait toujours accomplir sa mission. Le roi gardait son chat, et lui apportait son attention et sa tendresse.

Fata la fée aimait le roi. Qui ne le savait pas. Alors, elle se baladait de village en village, écoutant les autres avec bienveillance, le visage souriant et les yeux brillants. Leur coeur, ainsi libéré de leur chagrin grâce à leur parole et son attentive écoute, se rendait disponible à l’amour. Fata souffrait d’un handicap : elle ne parvenait pas à se croire aimable. Alors, elle taisait son amour pour lui. Jusqu’au jour où elle dût rester pour la nuit chez une de ses collègues qui la démasqua et lui dit :
– Je te vois amoureuse du roi et je te vois prisonnière de ton secret.
Fata pleura à chaudes larmes ce qui lui allégea le coeur.
Sa collègue continua :
– Et le roi t’aime, ce qui fait de vous deux, deux abrutis.
Fata repartit le lendemain vers le château, le coeur empli d’espoir.

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Les cerisiers fleurissaient sous la pluie. Georges désirait prendre la nouvelle respiration dans ses bras. Oublier le poids de la tristesse qui l’avait enveloppé tout l’hiver. Mais alors que la pointe des fleurs émergeaient des bourgeons, il sentait l’envie de se dévêtir de cette enveloppe qui l’avait empêché de bouger pendant des mois. Il envisageait un espoir nouveau comme sa tristesse l’avait été. Et tout en se remettant à rêver, il se surprit à flâner, repoussant au lendemain ses obligations. Il remarqua qu’il se détachait du devoir. Il se laissait aller à goûter la beauté des arbres à nouveau blancs, à se nourrir de leur renaissance, à ressentir cette paix gonfler son corps.

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L’arc-en-ciel me fit passer dans l’autre monde. Le tourbillon de la nouvelle vie me happa. Les frissons de l’ascension me firent décoller et je saisis le serpent qui surgit devant moi. Le souffle ravagea les mauvaises herbes et la mer se souleva en un tsunami phosphorescent. J’arrachai un champignon et plaçai son chapeau sur la tête du serpent. Avec une jubilation toute enfantine. On aurait cru que j’avais pris un acide. Je rentrai dans le circuit tel un labyrinthe, quittant tout de ma vie d’avant et le le ciel devint rouge.

Improbables retrouvailles

Sous la féerie de la nuit, je nous imagine réunis. J’ai toujours rêvé à l’impossible, comme si cela m’était nécessaire. Ou est-ce parce que je nourris mes pensées avec l’imaginaire.
Sous la féerie de la nuit, allongée dans le hamac que Nino a placé là, je nous vois ensemble, sans heurts, juste heureux d’être là sans avoir le besoin de prononcer un mot. J’aime ça, réaliser l’impossible. Ca nécessite de s’accorder beaucoup de temps, de rêvasser le regard perdu dans les étoiles jusqu’au moment de l’impulsion, l’impulsion de poser le pied à terre pour agir.
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J’ai adoré avoir dix ans. Mon père m’emmena à la chasse au début de l’hiver. J’ai adoré découvrir la chasse, j’avais l’impression d’être un garçon ce dont j’avais toujours rêvé. Je n’avais pas de frère et ma mère était morte quelques années auparavant. J’étais l’aimé.
Et mon père me traitait comme si j’étais un garçon.
Les hommes de la tribu m’accueillirent comme tel quand mon père me fit venir avec lui. C’est en allant à la chasse que j’appris à rester impassible, à attendre sans ciller, quand bien même la tempêtes lèverait.
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Putain d’encéphalogramme de merde ! Il a cru qu’en me décryptant, il saurait tout de moi. C’est qu’il voudrait que ce soit clair et net. Contrôlable maîtrisable dompté domestiqué sanglé bridé cadenassé, putain mais c’est dingue le nombre de mots qui existent pour définir ce qu’il voudrait ! Alors que, regarde comme c’est mon cerveau, certes il y a une limite bien définie, ce que lui ne perçoit pas. Il y a dans le flot de e qu’il croit flou une structure et une cohérence.
Et il y a cet insaisissable.
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Il ouvrit sa main ou dedans il cachait une pierre,
devant moi assise sur une chaise. Je pris la pierre et la posai à côté de la pièce de monnaie sur la table.
– Alors, tu viens ?
– Je viendrai, répondis-je, en voyant le caddie de supermarché derrière lui, rempli d’armes et de vêtements.
Je me souvenais que j’avais dû rabattre le strapontin du métro tellement la rame était bondée ce jour où nous nous retrouvâmes sur ce quai. De la même façon, il m’avait dit : « Tu viens ? » Et nous avions commencé à parler quand nous nous étions assis sous le toboggan d’un square. J’aurais tant voulu immortaliser ces improbables retrouvailles, sauf que nul d’entre nous ne possédait d’appareil-photo. Je baissai la tête alors qu’il se mit à causer. J’étais telle une souris devant un morceau de gruyère. Alors que lui me semblait, des années auparavant, un chat devant une bassine d’eau.
Je compris au moment où il ouvrit la bouche sous le toboggan que je m’étais trompée.
Il avait pensé à moi, à sa fenêtre de prison et se promettais d’être ma fidèle amie jusqu’à ce que je sois une vieille dame même s’il devenait clochard.
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Il prit un cutter pour couper la ficelle qui attachait mes poignets, j’étais coincée dans une cuve depuis deux jours. Si je racontais ça aux autres, ils diraient encore que c’est une fabulation. Mais il était là, il sentait bon le sable chaud et il allait m’emmener loin. Et c’était cool.

Antonio ? Antonio

Mais c’est quelque fois au moment où tout semble perdu que la porte s’ouvre sur un autre horizon… Non ce n’est pas un autre horizon, c’est une dimension que l’on ne soupçonnait pas. Comme s’il fallait que tout, presque tout, se dissolve pour laisser la place à l’émergence de la dimension insoupçonnée. Car comment la voir si l’avant ne disparait pas.
Où tout nous semble… Car rien n’est jamais perdu, sauf dans les apparences par définition trompeuses, ces fantaisies auxquelles tu t’accroches comme si ta vie en dépendait, alors que ce n’est pas la vie, c’est encore moins la vie.
Dis-toi que quand tout te semble perdu, tu peux laisser la vague qu’aucune de tes plus belles espérances n’aurait pu envisagée te prendre.

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Oh, arrête ! Son regard se figea. Le temps que la voiture ralentisse, il fut trop tard. Moi, je me souvenais de ces fois où je lui demandais d’arrêter quand il allait trop vite. Et que ça lui plaisait quand je parlais avec cette voix-là. Et je me souvenais de ce jour où il n’avait pas freiné et qu’alors les flics lui avaient tiré dessus. Il ne s’était pas arrêté. Quand je dis : « Oh arrête » ce jour, bien des mois après, je ne savais pas à ce moment que c’était la dernière fois. Je venais de comprendre qu’il ne m’aimait pas, qu’il ne m’avais jamais aimée. Quand la voiture stoppa sa course, je pris mon téléphone, composai un numéro et dis : « Antonio ? Antonio… Tu peux venir me chercher. »

Tu fus étonné. Et cela me fit presque rire. Tu connaissais Antonio, tu le pensais sorti de ma vie depuis es années. Sauf que tu ne savais pas qu’il m’avait promis : « Si un jour, tu as besoin de moi, appelle-moi. » Et contrairement à toi, il avait eu confiance, de cette confiance qui dure toujours, sur laquelle le temps n’a pas de prise. Notre lien était éternel, puisqu’intemporel. Tu ignorais que ça existait, ce genre de liens. Tu ignorais que des gens se connaissaient de vies antérieures. Tu gardais ce visage face aux choses de la vie, ces choses que tu ne pouvais pas saisir.

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Pourquoi pleurer ?
Pour te montrer que je suis à fleur de peau, comme le funambule que nous avons vu hier au cirque, comme le clown qui crie : « Pauvre Rififi. » comme l’acrobate, tête en arrière dans le vide. C’est ça que j’aurais dû faire : saltimbanque dans un cirque itinérant. J’aurais pu pleurer sans avoir à me justifier, sans que ça paraisse louche d’être aussi nature.
Pourquoi pleurer ?
Pour te dire : »Console-moi Pardi ! »
C’est quand même fou que ce soit si dérangeant les larmes des gens.