Une ombre, à l’aube

Rien ne nous arrivera si tu prends la route de droite. Comment te l’écrire ? Comment te le dire ? Car, toujours tu reviens à gauche. Alors, j’ai envie qu’un ouragan vienne et nous dévaste. Quand la bourrasque aura tout éclaté en mille morceaux, je prendrai le temps de les ramasser un par un. Accroupie. Mon esprit se calmera, apaisé dans la tempête. J’oublierai la gauche, la droite et ces murs qui t’enfermaient. Je choisirai de me poser dans l’alcôve.

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Pour repartir, il prit son sac posé sur la table. Comme tant de fois, il l’avait fait sans que personne ne le voit. « On ne me voyait pas », pensait-il. Et pourtant on le voyait. Tout le monde le voyait ; il irradiait. Les filles lui couraient après, les garçons l’enviaient. Sauf que ça, il l’ignorait. De son succès, il était absent. Armé de son sac, calé sur son dos, il arriva au port, puis au bateau dans lequel il monta. Comme à chaque fois, à cette heure matinale où la lumière était encore douce, et l’air frais. Il aimait cette sensation d’être une ombre, à l’aube.

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J’allais partir, mais mon mari m’a tuée avant. Je pensais n’avoir laissé aucune trace concernant la date de mon départ. Il était sur les dents depuis quelques mois, depuis que nous avions décidé de nous séparer. Il disait qu’il était d’accord, il faisait le mec conciliant. Il sifflotait, détaché et rigolard. Comme si dans la vie, tout n’était que farces. Il portait ce masque de mec joyeux qui affrontait tout avec un air amusé qui m’enchantait, qui me donnait un sentiment de sécurité. Mais, malgré cette posture, je ne renonçai pas à la séparation et il vivait comme si elle n’allait jamais avoir lieu. Ce qui me mettait dans une position délicate, voire impossible. Le soir où il me tua, je ne vis rien venir car quand je rentrai du travail, il portait le masque gai du funambule.

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Cher Cédric,
Tu as bien failli m’avoir, j’avoue. Tu le sais, je t’aime. Donc je te souhaite bien du courage pour tes années en prison. Toi qui avais réussi à y échapper malgré ton enfance et ton adolescent cabossées, malgré la bêtise de ta mère qui t’a eu si jeune et qui a trouvé ça malin de te lâcher dans un foyer si tôt et malgré tant de choses que nous savons tous les deux. Si j’ai pu en réchapper grâce à Mathieu qui m’a retrouvée dans le coma au bout de la rue, je ne te ferai pas le cadeau de réapparaître vivante pour te faire libérer. C’est que le coma m’a bouleversée au point de me changer en profondeur. Je me suis réveillée dans un autre monde. Alors que c’est moi qui ait porté les autres depuis que mes parents sont morts, là, c’est moi qui fut portée dans ma convalescence et ça a tout changé.

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Étonnée, je le fus ! Quelle catastrophe !
Gagner au loto à mon âge, qui l’aurait cru ?
Aller au bout du monde, acheter une île
Ramer dans le Pacifique, vivre nue
Et boire du champagne quand mes amis me visitent
Rares sont les aubaines, si rares que je pris ma tête entre mes mains !