Et avec cette chaleur, j’ai enlevé mes vêtements et ouvert les fenêtres. Il n’y a pas un souffle d’air. La brume recouvre les toits et l’horizon. C’est comme si j’avais pris l’avion dans la nuit. Hier il pleuvait, hier il y avait du vent et il faisait frais. Puis ce matin, la brume de chaleur a pris possession du paysage. Et il y a la moiteur. Tout l’été, je t’ai demandé si tu voulais partir avec moi. Tu n’as pas répondu. J’ai renoncé. Et c’est l’été qui, finalement, est venu à moi. Toujours sans toi.
Et sur le sable, à la plage, je chante une chanson de Joe Dassin que j’ai tellement écoutée et je me dis que le temps n’existe pas, car toute la vie sera pareil à ce moment,
Que toute la vie je t’aimerai et prends conscience que ma vie est contenue dans une chanson.
Archives de l’auteur : marie
La seule issue
– Et tu ne la reverras jamais ?
– J’ai adoré cette fille.
– Comment tu l’as rencontrée ?
– J’ai été manger une pizza orientale le trente et un et je suis sortie taxer une clope à un des mecs qui tiennent les murs. Et je l’ai vue marcher.
– Elle marchait seule ?
– Elle marchait pour accoucher.
– Comment ça ?
– Elle en était à neuf mois et dix jours, son médecin lui avait conseillé de marcher.
– Donc elle marchait. Dehors ? Un trente et un… Et le père ?
– Y a pas de père.
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Elle s’en aperçut et elle rougit. Son souffle se suspendit et se transforma en un râle d’animal pris dans les maillages d’un piège. Un long silence, un très long silence, un si long silence se fit. Nous vivons dans une ville où les habitants cultivaient la peur du silence ; ils parlaient pour ne rien dire, du moment que leurs paroles polluaient le silence. La place accordée au silence la choqua, la choqua positivement ; elle put laisser le râle se répandre jusqu’à ce qu’il s’éteigne comme les ricochets d’un galet sur l’eau. Elle se sentit légère. Si légère qu’elle remercia l’événement de son absence et elle me serra dans ses bras pour lui avoir donné un cadeau : être là sans un mot.
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Dis-moi si tu serais d’accord pour vivre comme ce putain de chat sacré. Mais pour toujours, hein ? Chat, toi et moi. Tôt dans la nuit, on se coucherait enlacés. Dormons pour mieux nous aimer. Assis, debout, allongés, avec délectation. Tranquilles, nous défierons le monde entier.
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Cette fille dit : « Non » comme une enfant, comme l’enfant qu’elle était avant de tomber, on dit ça pour ceux qui entrent en prison. Cette fille avait dit « non » le jour où elle flingua son père. Et personne ne lui donna de circonstances atténuantes car elle s’était offert le silence, le silence sur la raison de l’homicide. Elle laissait voir ses seins comme l’enfant qu’elle était restée. La prison, ça fige la maturité des êtres.
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Cette nuit qui avait commencé tôt puisque c’était l’hiver, elle prit le bus, presque à contre-coeur, et pourtant Zahia ne faisait presque rien à contre-coeur. Cette nuit-là, elle se rendit à l’atelier d’écriture au quartier des bougnoulis de Paris. Elle s’assit à côté d’un homme vêtu d’une doudoune. « Que faisait-il là » se dit-elle dans sa tête. Son visage comme ciselé de la dentelle de Calais, un regard plein de douceur et il était bien un homme, ses cuisses fortes en muscles, son torse enrobé de ses pneus de doudoune. Comment un mec aux mains fines comme on en voit dans certains salons avait-il atterri ici ? « Cheveu sur la soupe », Zahia se dit qu’elle allait le surnommer. Pourtant, c’est elle que les Iroquois auraient pu nommer ainsi. Et si lui, c’était elle ? Mais à l’envers ? Venant d’ailleurs, se sentant d’ailleurs, ils s’étaient tous deux éloignés du point de départ, avaient traversé la rue, quitté leurs amarres pour se retrouver côte à côte dans un bus. Il la sentait à côté de lui, en la sentant très présente, si présente qu’il eut peur de ne pas pouvoir se lever et s’éloigner d’elle sans ressentir un manque tel qu’il serait impossible de vivre.
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Cuisiner, c’était la seule issue pour elle. Il était parti avant l’aube, comme à chaque fois que le bateau repartait. Dans la matinée, le général de la nouvelle armée arriverait et la trouverait à l’oeuvre. Comme à chaque fois que l’autre regagnait la haute mer. Et ce n’est pas ce que tu crois. Même si je vois déjà tes yeux briller. Elle avait pris l’habitude de concocter des petits plats pendant l’absence du marin. Et c’est ainsi qu’elle en vint à en parler au général. Qui lui devait nourrir ses troupes qui oeuvraient en secret. Ce jour-là allait être différent. Mais elle ne le savait pas. Elle finissait la première étape du travail en repensant à Léa qui n’aimait pas les recettes de ce livre que j’adorais. Il entra, il ouvrit le paquet qu’il portait et elle découvrit l’uniforme, l’uniforme qu’elle allait désormais porter.
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Nous avons chaviré quand nous naviguions vers les vingt heures. Jack nous surplombait du mât, nous qui jetions en vain les corps morts par-dessus bord. Nous arrivions sur les Caraïbes, certains d’entre nous plongeaient. Nous découvrîmes le rivage que nous explorerions tantôt, nous dirigeâmes nos regards vers lui. Nous soufflâmes enfin.
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La porte était hors d’usage. On avait mis toutes les clés dans la serrure. Impossible de l’ouvrir. C’était pénible car Génie était derrière. Génie était un gars sympa, un peu taiseux et je me demandais toujours si derrière son sourire, ne se cachait pas une immense tristesse. Génie s’appelait ainsi parce qu’il était très intelligent. Ça tombait bien. Il était enfermé sur son lieu de travail et il commençait à faire nuit. Je me disais que chacun allait repartir chez soi et qu’il allait rester là seul. Du coup, je me décidai à rester derrière la porte. Il m’était impossible de laisser quelqu’un seul dans le désarroi et d’ailleurs je ne comprenais toujours pas comment les autres pouvaient le faire.
– Génie, tu es là ?
– Oui, me dit-il.
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« La bière est-elle dans le fût ? » Non mais quel abruti celui-ci à me poser une telle question. Quand je poussai la manette, il éclata de rire. Car… Rien. Nous étions seuls au bar depuis le matin. Et comme d’habitude il ne se passait rien. Les gars arrivaient quand ils revenaient des quais. Comment Jérôme que j’ai traitée d’abruti quelques lignes plus haut avait-pressenti le vide du fût ? Etait-il descendu à la cave ? Avait-il touché la manette ? C’était la première fois qu’il me laissa bouche bée : il avait raison. Je m’étais trompée face à lui et à cet instant, la main droite posée sur le cuivre de la manette, mon regard sur lui changea.
Case départ
un crapaud dans la mare ?
Un orang-outan chez moi
Le détonateur
Au lieu de continuer à parler, je vais crier, hurler, taper du pied. Nabi m’avait choquée de sa vérité tranchante qui me nettoya de tous les mensonges dont on m’avait bourré le cerveau. J’aimai l’épée nue de ses mots m’extirpant du brouillard inconfortable dans laquelle mon enfance m’avait plongée. Nabi avait dit : « L’Occident désamorce l’émotion » avec une rage qui me rendit à la nudité de vivre, qui me donna l’impulsion de révéler mes enragements à la grande lumière. Alors, Nabi, c’était donc ça : le désamorçage de ces gens, la froideur d’un père aux élans de l’enfance, la nôtre, l’indifférence en échange de l’apparence de la bienséance, ils désamorcent la bombe en la détachant du détonateur. Je suis le détonateur, je suis le poète qui décolla le faux pansement que tu avais mis sur ton coeur. Et maintenant j’en suis fière.
Pas de détour
Retournons à la vie
Et le ciel devint rouge
Une fée vint au château avec un tigre blessé à une patte. Le roi, amoureux de la fée, lui accorda son hospitalité, lui assurant qu’elle pouvait rester tant qu’elle voulait. Au fil des jours, qui devinrent des semaines, la fée soigna la patte, armée d’une patience surhumaine, en même temps c’était concevable vu que c’était une fée. Elle l’aida à affronter l’agressivité que la douleur provoquait chez l’animal. Quand elle s’approchait de lui, il cherchait à la mordre. Mais il ne la mordait pas. Car elle s’avançait avec une douceur chargée de confiance et de fermeté. Elle connaissait les secrets des blessures, ce qui était très rare à cette époque.
Le roi possédait un secret et personne n’était au courant. Cet homme ouvert, joyeux, généreux qui aurait pu penser qu’il cachait quelque chose ? Il aimait une fée, elle s’appelait Fata. Elle détenait le don de provoquer des rencontres engendrant l’amour durable entre deux êtres. Cependant l’ironie du sort faisait que le roi n’avait pas le droit de vivre son amour pour elle. Elle voyageait par monts et par vaux s’occuper du coeur des autres, en oubliant le sien. Elle tenait à son amitié pour le roi qui l’accueillait au château, mais elle repartait toujours accomplir sa mission. Le roi gardait son chat, et lui apportait son attention et sa tendresse.
Fata la fée aimait le roi. Qui ne le savait pas. Alors, elle se baladait de village en village, écoutant les autres avec bienveillance, le visage souriant et les yeux brillants. Leur coeur, ainsi libéré de leur chagrin grâce à leur parole et son attentive écoute, se rendait disponible à l’amour. Fata souffrait d’un handicap : elle ne parvenait pas à se croire aimable. Alors, elle taisait son amour pour lui. Jusqu’au jour où elle dût rester pour la nuit chez une de ses collègues qui la démasqua et lui dit :
– Je te vois amoureuse du roi et je te vois prisonnière de ton secret.
Fata pleura à chaudes larmes ce qui lui allégea le coeur.
Sa collègue continua :
– Et le roi t’aime, ce qui fait de vous deux, deux abrutis.
Fata repartit le lendemain vers le château, le coeur empli d’espoir.
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Les cerisiers fleurissaient sous la pluie. Georges désirait prendre la nouvelle respiration dans ses bras. Oublier le poids de la tristesse qui l’avait enveloppé tout l’hiver. Mais alors que la pointe des fleurs émergeaient des bourgeons, il sentait l’envie de se dévêtir de cette enveloppe qui l’avait empêché de bouger pendant des mois. Il envisageait un espoir nouveau comme sa tristesse l’avait été. Et tout en se remettant à rêver, il se surprit à flâner, repoussant au lendemain ses obligations. Il remarqua qu’il se détachait du devoir. Il se laissait aller à goûter la beauté des arbres à nouveau blancs, à se nourrir de leur renaissance, à ressentir cette paix gonfler son corps.
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L’arc-en-ciel me fit passer dans l’autre monde. Le tourbillon de la nouvelle vie me happa. Les frissons de l’ascension me firent décoller et je saisis le serpent qui surgit devant moi. Le souffle ravagea les mauvaises herbes et la mer se souleva en un tsunami phosphorescent. J’arrachai un champignon et plaçai son chapeau sur la tête du serpent. Avec une jubilation toute enfantine. On aurait cru que j’avais pris un acide. Je rentrai dans le circuit tel un labyrinthe, quittant tout de ma vie d’avant et le le ciel devint rouge.