Il me dit : « Tu me manques. »

Tu ne comprenais pas ce qu’était une interdiction, interdiction ce mot n’avait aucun sens. Sans interdiction tu franchissais les limites, imposant des interdictions aux autres en leur imposant tes limites. Au détour d’un panneau d’interdiction, tu ne vis pas l’interdiction qui aurait pu te freiner dans ta surenchère à ton affranchissement de toute interdiction. Et pourtant ta mère t’avait frappé à chaque interdiction qu’elle te dictait et frappé à chaque fois que tu l’oubliais. Elle te frappait aussi quand il n’y avait pas d’interdiction. Moi, je trouve ça dommage qu’il n’y ait pas eu d’interdiction à l’union de ton père et de ta mère. Car une femme doit avoir le choix de son époux.

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Cette nuit, j’ai cassé un câble. Tout doucement, sans un bruit. J’avoue, je n’attendais plus ce moment. Il était tendu et j’avais capitulé.
Cette nuit, j’ai senti qu’il avait lâché. Ça m’a fait presque peur, l’opacité du silence, comme si la tension de ce câble faisait du bruit. Comme si la douleur ronronnait en permanence, en arrière-plan. On m’avait prévenue que ça serait dur, mais ça avait été bien plus dur. Alors… Mieux vaut prévenir personne de rien. Surtout quand on ne l’a pas vécu.

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Elle se décida à retourner aux écuries pour gueuler un bon coup. Il était là, comme d’habitude. Ce mec riveté à ses habitudes, donc j’aurais dû écrire « comme à son habitude. »
Au contraire, gueuler n’était pas son habitude à elle. Il recula d’un pas sous la houle de ses cris. Elle, elle si réservée, si timide, inclinant la tête comme par déférence, depuis toute petite qu’il la connaissait, semblait possédé par un démon. Les cheveux lâchés, les yeux brillants, la cravache tendue vers lui, rien n’arrêtait son dégueulis verbal. Ce qu’elle avait contenu en elle depuis l’enfance se répandit ainsi. Il avait suffi d’un mot de sa part à lui.

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Pierre était venu. Elle attendait Pierre depuis un an. Elle n’en avait parlé à personne. Pierre avait dit : « Donne-moi un an. » Elle lui avait donné. La veille, elle avait soudain ? de la folie de cette attente. Se souviendrait-il de sa promesse au jour près…
Pierre s’était souvenu. Il était venu. En le revoyant, elle fut surprise par son propre ressenti. Elle remarqua qu’elle ne l’avait jamais cru et que si elle l’attendait en silence, elle ne pensait pas à son retour réel. Quand elle ouvrit la porte et qu’elle le vit, elle en fut si bouleversée qu’elle tomba dans ses bras. Elle avait oublié sa beauté, elle avait oublié combien elle l’aimait, pour se prémunir de la déception. Quand il entra et qu’il resta la nuit, elle ne remarqua pas qu’elle avait oublié le châtelain, le château, la jument. Pierre avait tenu sa parole et elle n’avait jamais connu une personne qui avait tenu sa parole.

Au départ de Pierre, elle pleura… Elle pleura beaucoup. Ayant peur de se noyer dans ses sanglots, elle allait sonner à la porte du château. Elle devait oublier. La parole d’un homme ne vaut rien. Sa mère en avait fait les frais et elle les avait subi toute son enfance. Le château semblait un endroit sécurisant. Et le châtelain, personne n’irait le réquisitionner pour la guerre. Elle lui demanda à monter la jument. Il répondit qu’elle pouvait venir chaque jour, à quatorze heures. Ce qu’elle fit avec une assiduité quotidienne.

Il l’attendait depuis une heure, l’attente le rendait nerveux. Il avait scellé le cheval après l’avoir brossé en sifflotant comme à son habitude. Il aimait la recevoir ici, dans son château. C’était son bonheur à lui de la voir débarquer à la porte des écuries. Sa silhouette taillée dans les rayons du soleil en contre-jour faisait tambouriner son coeur. Parfois elle courait jusqu’au box et alors il se réjouissait de sa respiration forte quand elle arrivait face à lui. Mais ce jour-là elle marcha lentement jusqu’à lui. Si lentement qu’il crut qu’elle n’arriverait jamais. Il lui dit fort pour qu’elle entende : « Dépêche-toi, tu es déjà en retard.

À peine eut-il fini sa phrase qu’elle disparut.

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Rien ne me fait plus peur que te perdre. Quand j’ai dit ça en arrivant à l’hôpital, ils m’ont tout de suite internée. Et sans le dire, je connaissais le diagnostic qu’ils avaient posé sur moi. Ça faisait longtemps que j’avais toute une théorie sur cette peur de perdre comme une des causes principales de la violence. On a, nous, une si grande peur de perdre que ça nous rend autres. Ça fait de nous des êtres différents. Nous, au milieu de ceux qui disent : « C’est normal de ne plus avoir de nouvelles des gens, c’est normal que tout le monde se lâche au premier inconfort émotionnel. » Nous sommes ainsi, nous, enfin eux, sont des hamsters dans la roue : « Tout va bien, tout va bien. »
D’ailleurs, c’est moi qui suis entrée à l’hôpital.

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Je soupire et l’air tel une vague me prend dans ses bras. La tension se dissout, je me sens plus légère. Je soupire en lisant la lettre de mon soupirant qui aspire à être à mes cotés. Je soupire découvrant son inspiration pleine de débordements lyriques et colorés. Je ne voudrais pas être triste, mais j’ai un pincement au coeur. Je l’imagine soupirer en écrivant au bord de l’eau, c’est un petit village en Crète. Je n’y suis pas allée l’hiver, mais ça doit être beau. Je soupire car il m’écrit de venir. Il se languit de nos promenades, les pieds dans la mer à discuter à bâtons rompus. Bien sûr, j’aimerais le rejoindre. Ce que j’aspire à faire après le tournoi de rugby.