Même dans le froid

« Chaque jeudi, je t’ouvre mon coeur. »
Même dans le froid.

Des textes que j’ai écrit pendant les ateliers que j’anime en psychiatrie. Il n’y a pas la date. C’est écrire les retrouvailles promises, pour les vivre. Les vivre…

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Elle l’attendit à la gare. Il sortit du train à midi en la cherchant du regard. Y a-t-il quelque chose de plus palpitant qu’un être qui est venu jusqu’à un quai de gare pour vous ? Quelqu’un qui t’attend? Qui t’attend debout. Même dans le froid, même les pieds dans la neige, même les cheveux mouillés. Elle ne le reconnut pas. Donc elle ne s’avança pas. Il marcha vers elle, avec une sensation de flottement, car il l’aimait encore et n’avait cessé de penser à elle depuis la dernière fois. Pendant qu’il se rapprochait d’elle, elle crut qu’il n’était pas venu.

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Je sens ton approche, comme un chien, alors que tu es à plusieurs kilomètres, mon état physique change malgré moi, mon pouls s’accélère, les muscles de mon ventre se serrent. Je sens ton parfum quand tu passes la porte en criant : « Tu es là ? » alors que tu sais que je suis là. Je sens la douceur de ton écharpe sur ma joue quand tu me prends dans tes bras. Je sens mon amour pour toi chaque jour, tous les jours.

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Sa majesté possédait une authenticité rare et presque invisible pour ceux qui ne pouvaient pas la discerner pour ne l’avoir jamais connue. Cette qualité lui donnait accès à des émotions vives et à une sagesse qu’elle avait acquise au fil des années, non sans souffrance. Une fois acquise, elle se dit qu’elle avait finalement le droit de réaliser ses rêves, et d’abord de se remettre à rêver en accord avec son don d’authenticité. Elle se mit à chercher un lieu où vivre, un lieu comme elle le voulait. Elle organisa un périple et demanda à son ami s’il voulait bien l’accompagner. Quelques mois plus tard, elle s’installa sur une presqu’île peuplé d’épicéas. Et elle exécuta une figure du temps d’avant quand elle était acrobate pour renouer avec celle qu’elle avait été. Plus rien n’était obstrué.

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Tu as montré la paume de ta main comme si tu me montrais ton coeur. Pur, presque vierge, blanche. Nous étions assis au bord de l’eau, nous l’entendions couler et, à ce moment, je pensais que j’aimerais me sentir libre comme elle. Jamais effarouchée par un rocher, ou quelconque obstacle. Mais tout se bloqua en moi. La respiration, les paupières, la bouche. Il fallut attendre quelques minutes qui me parurent une heure pour qu’au loin, j’entende les battements de mon coeur qui, eux, ne s’étaient pas arrêtés. Tels les coups portés sur la peau d’un tambour, ils me ramenèrent à la vie comme si je sortais du coma.

20 avril 2023

Apportez-moi des fraises

Apportez-moi des fraises pour que je puisse le demander en mariage. Je lui avais dit y’a des années alors que nous nous connaissions depuis quelques mois que si nous nous retrouvions, cela serait pour nous marier. J’ai toujours été comme ça, le tiède m’ennuie. Bien sûr j’avais été obligée de m’adapter à la tiédeur de l’époque, ramolli par le confort et la latitude de notre pays.
Alors, quand je sus que l’heure du rendez-vous de nos retrouvailles se rapprochait, je descendis chez cet homme qui vendait un peu de tout jour et nuit, je lui dis cette phrase à consonance poétique. Vingt ans de prison, il les méritait : ma main et ces fruits.

 

En atelier, 24 février 2020

Alice et Igor

Dans sa vieille enfance qu’elle rejoignait parfois, Alice aimait revenir à ce jeu triste. Elle invitait Igor, car tant qu’à jouer, autant être plusieurs, et deux, c’est bien pour être tristes. Ils s’enfermaient dans un cercle carré tout en se maintenant dans un élan ralenti pour atteindre une infinité minuscule. Alice était fière car Igor avait assez vite compris ces règles qu’elle avait mises au point avec sa peluche poulet. Depuis que des milliers de gens défilaient pour Adama Traoré, elle cachait sa mascotte. Igor maîtrisa vite les notions de vide plein et d’air solide. Ce qui permit aux deux enfants de progresser rapidement. Les parents n’arrivaient pas à concevoir ce que leurs enfants trafiquaient dans leur inatteignable espace, cependant ça les arrangeait car, du coup, ils pouvaient aller manifester le samedi après-midi dans ce roulement inerte que la vie toute récemment sociale imposait. Seuls Alice et Igor prenaient conscience de l’extension régressive du monde et savaient qu’en jouant de cette façon qu’ils avaient inventée, ils sauveraient leur peau.

Les mots : souffle, lumière, refuge.

Ils m’ont bercée, soutenue, propulsée, inventée, ré-inventée.

Ils m’ont aidée à créer la vie comme je la désirais.

A voir ce que je ne voyais pas.

Ecrire est une invitation à se connaître dans ce que nous ne savons pas de nous, à plonger dans notre inconnu qui nous donnera solutions et appuis face à la vie. Amadouer cette part enfouie nous rend plus forts.

S’initier à l’écriture buissonnière est la proposition.

Poser le premier mot. Sans savoir ce qui va venir : l’accueillir.

Créer, se créer.

Avec de plus en plus de possibilités, de liberté et d’amour.