En sa puissance

L’homme chantera à la source demain dans cette vaste prairie. En attendant, nous tissons des colliers de fleurs, assises dans l’herbe. Ils nous ont dit de rester là pour quelques jours, en espérant l’assaut qui mettrait fin au combat. Nous divaguons comme les heures passent sous le ciel bleu. Lise avait déjà parlé de lui, elle croyait en sa puissance, en son intelligence, en sa capacité à diriger. Et je lui demande comment il est physiquement. Elle sourit sans rien dire. Et je souris à mon tour. Nous avons encore cette difficulté à nommer les choses. Je ne sais pas si ça vient de notre pudeur, de notre manque de vocabulaire ou de tout ce qui nous arriva ces derniers jours.

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– On en sait jamais. Toi seul connaît ce que tu aimes.
– Pourquoi tu me dis ça ?
– Tu gardes secrètes tes intentions d’amour. Je t’ai vu secourir la voisine du premier étage, sans aucune autre raison que de la secourir. Pourquoi elle, ce jour-là ? Et ensuite tu te comportais avec elle, avec ce que j’appellerais un certain amour, sauf que tu fiais : « Pas du tout. » Ça avait l’air tellement gratuit, comme innocent.
Tu te levas, surpris par ma remarque. J’eus peur que tu te fâches. Je ne sais pas pourquoi, car tu ne te fâches jamais.
– Tu me connais si peu ?
– J’ignore ce que tu aimes, ça me laisse un doute à ton endroit.

Et là, tu te mis à pleurer. Debout. Face à moi dans la cuisine.

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Aujourd’hui, comme tous les jours, nous sommes blondes. Blondes et belles. Les autres nous envient. Nos cheveux raides atteignent nos fesses. Et lorsque le printemps vient, la lumière les fait dorer. C’est ça, la lumière des blonde. C’est indescriptible. Ça adoucit, ça donne cet air d’ange, ça rappelle la pureté, ça rappelle une grâce, quelque chose de non-entaché. Et le soleil qui les traverse, quand tu es à bord du bateau, sur la mer azur, ça claque, j’avoue. Le blond de nos cheveux, comme celle des épis du blé que nos doigts effleurent quand nous les longeons.
Aujourd’hui, comme tous les jours, nous sommes insaisissables. Si nous sentons leur souffle, le souffle des jaloux, visant nos nuques, nous disparaissons dès que les crocs se dégagent de leurs lèvres retroussées.

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Philou habite dans une ampoule. Il tient une bougie, il regarde la flamme dans son habit de nuit: un bonnet pointu, une cape parsemée d’étoiles, un pantalon large et des petits chaussons. C’est Lucie qui l’a mis là et il est heureux. Ils se sont rencontrés dans le bois. Normalement personne ne le voit. Sauf que Lucie, ce jour, l’avait remarqué alors qu’elle allait prendre son bain dans la petite mare. Philou avait rougi, elle lui avait parlé. Mais d’où sortait-elle ? Il n’avait jamais vu une telle créature. Il voulait qu’elle l’emmène avec lui. Mais il n’osa pas lui dire. Pourtant, après une après-midi à se baigner entre les nénuphars, à manger des cookies trempés dans du lait, à sauter dans les herbes, c’est ce qu’elle fit, lui demander :
– Philou, veux-tu bien que je t’emmène chez moi ? C’est une petite hutte à deux pas d’ici.

Alfred et le chien

En 1940, je me suis évadé avec le chien du gardien. Au fil des semaines, je lui avais donné des petits bouts de bouffe. Il me biffa grave, et le soir de mon départ, il fut mon fidèle compagnon, indispensable pour franchir le trou qu’Alfred et moi avions fait dans le grillage. Dans le camp, les animaux ont été ma lueur, ils m’ont maintenu en vie : leur regard, leurs mouvements toujours tournés vers la vie et leurs actions parfaites. Les regarder, interagir avec eux me reliaient à l’harmonie du vivant, à sa grâce et à la pulsion que je pouvais qualifier de sublime vu l’endroit où j’avais atterri. A part Alfred, je ne parlais pas aux autres, je préférais danser avec les animaux. Partir dans les hauteurs de la montagne, ce fut facile les premières heures, mais avec les jours qui succédaient, le chien donna le rythme et le cap. Je remis ma vie en cet être joyeux, vaillant et beau.

En 1920, Alfred, un petit roux aux yeux verts, avait découvert un petit chien dans la forêt. Quand il débarqua dans la maison de ses parents, son père hurla. Alfred sourit. Il savait qu’il gagnerait. Il lui fallait du temps. Il le prit. Il ressortit illico, laissant les cris là où ils étaient. Alfred ne comprenait pas depuis le début pourquoi il criait et elle, elle qui louvoyait en minaudant jusqu’à ce qu’il se calme. Il cacha l’animal non loin, où il lui construit une petite cabane où il restait là tranquillement, où il grandissait car Alfred avait compris que cette boule de poils était un chiot. Chez ses parents, personne ne lui en reparla. Il prit le temps, il garda son secret, il savait que la patience était sa meilleure alliée. Un matin, le silence le réveilla. Il descendit pour découvrir sa mère en train de pleurer dans la cuisine. Il sut que le gueulard était parti. Il sortit et courut vers la cabane. Il fit entrer l’animal dans la maison.

Alfred marche toute la journée à mes côtés, le chien devant. Dans chaque geste que ce jeune lui porte vers lui, je sens tout l’amour du monde. Et ça me donne la force pour ne pas avoir peur. Nous nous enfonçons dans les bois jusqu’à entendre des hurlements la nuit. Puis, un soir, devant le feu, je le vis se lever et aller vers eux, toujours mû par la même grâce, cet amour. Il s’accroupit et ils vinrent à lui.
Les loups.

Ce don de sagesse

Je suis trop au top aujourd’hui. José va craquer, c’est obligé. Regarde-moi ces tâches de rousseur sous mon oeil droit. Il va rugir tel un lion alléché au déclin du soleil aux abords du fleuve, regarde-moi ces frisettes qui ondulent ma chevelure. Je vais le croquer tout cru, lui qui m’a prise pour une vulgaire antilope, je vais lui montrer que je suis une hyène.

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« Je suis en retard » dit-elle. Youpi ! Elle regarda le bateau s’éloigner sans aucun pincement à l’estomac. Toute sa vie elle avait été à l’heure, toute sa vie elle avait cru bien faire en rendant sa copie à l’heure, en arrivant à la gare à temps, en rappelant ceux qui laissaient des messages sur son fax, son répondeur, son portable, dans sa boîte à lettres. Quand elle se retrouva sur le quai, sachant qu’elle avait raté le bateau du retour vers son quotidien, elle sut qu’elle ne prendrait pas le suivant. Elle s’assit sur un banc. Elle respira. Enfin, elle avait réussi à être en retard. Enfin, elle sentit la paix dans son corps. Enfin, comme pour la première fois, elle abandonna le poids de la culpabilité. Le plaisir inconnu d’être pleinement vivante et en amour la surprit.

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C’est une question de foi, tu peux y arriver, tu as déjà eu foi en bien plus improbable. Quand tu partais avant l’aube, en vélo sous la neige. Quand tu saupoudrais ton amour sur des gaufres du petit-déjeuner. Tous les jours, le ciel était bleu et tu bénissais tout le crédit que tu t’accordais, tu adorais ça : ne pas compter. La gratitude flottait dans les airs sans prononcer son nom, elle se révélait dans les bouquets de fleurs que tu récoltais dans les champs, ça te venait de ton enfance qui te semblait éternelle : ce don de sagesse de tout adorer tout le temps.

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Elle était partie de là où les gens avaient su,
Parce qu’elle l’avait dit.
N’imaginant pas les conséquences de ces révélations. Là où elle avait cru qu’elle recevrait de la douceur, puisque c’est bien ça qu’on devait accorder aux combattants revenant du front, elle reçut autre chose, un autre chose dont elle ne connaissait pas le nom.
Elle a ouvert sa main, face à la mer. À l’abri de l’ombre d’un arbre, les fesses posées sur le sable. Ici, elle avait le droit d’être guérie, car elle avait le droit d’être elle-même. Comme si le droit d’être soi était d’une telle nouveauté qu’il fallait donc autant se battre. Le bonbon, le calme, la sensation de bénir chaque cellule de son être. Oublier qu’il existait un monde où être soi était entravé. (janvier 2020)

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Et si tout s’arrêtait, quelle joie !
L’écoulement du sable dans le sablier,
la guerre des hommes contre les hommes,
la course à la surenchère,
l’économie telle qu’elle détruit le monde,
la bêtise à tous les coins de rue.

Et si tout s’arrêtait, quel élan !
Les insultes,
la médiocrité,
les reproches,
la fin du contrat,
la résurgence de l’absence,
les mensonges.
Tout ce que nous avons appris aux êtres humains pour qu’ils deviennent féroces, pour qu’ils puissent être capables de garder leurs frères derrière des barreaux.
Et si tout s’arrêtait, quel soulagement !
Je serais débarrassée de la peur de perdre,
je me contenterais de ramasser quelques coquillages sur la plage et de les enfiler sur un fil que je passerais autour de mon cou.
Tout s’arrêterait sauf qui moi qui continuerait à marcher.

Wild

Wild, c’était le nom que tu m’avais donné lors de notre premier voyage.
Wild, parce que nous nous étions perdus dans un désert américain et que nous avions entendu les coyotes hurler dans la nuit.
Wild, parce qu’un jour, tu m’avais souri en disant : « C’est parce qu’ils ne t’ont jamais domestiquée. »
Wild, parce que nous avions recueilli un chiot et que je voulais qu’il fut un loup.
Wild, parce qu’il restait ce quelque chose de spontané.
Wild, parce qu’il en fallait pour rugir.
Wild, parce qu’ils m’avaient trop enfermée.

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– Oh, ça sert surtout à faire cuire du riz et depuis je mange du riz. Avant impossible de bien le cuire.
– Comment ça se fait qu’il y a un pistolet dedans ?
– Pour que personne ne le trouve.
– Tu es vraiment sûre que c’est une bonne cachette ?
– Tu crois que j’avais le temps ?
– Temps ou pas temps, c’est archi bidon, surtout sans mettre de riz dedans.
– Personne ne met jamais le riz avant de le cuire.
– Tu veux dire quand le machin est rangé dans le placard ?
– Oui, c’est ça. Tu crois vraiment que ce détail mérite deux pages d’écriture ?
– Un pistolet, c’est un détail.
– Je parlais du rice cooker.
– Et moi, du flingue.
– Tu veux savoir autre chose ?
– Tu te fous de ma gueule ou bien ?
– Parce que tu crois que je vais te dire pourquoi j’ai un flingue.

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Le vent soufflait sur la plaine. Difficile de tirer à l’arc. Les Anglais patientaient de l’autre côté de la colline. Les chiens s’en donnaient à coeur joie, certains leur relançaient la balle. Hugo adorait les champs de bataille avant la bataille, ces heures où l’on préparait au combat. Il notait des poèmes sur son petit carnet, il regardait les hommes et les bêtes. Ses cheveux lui cachaient le visage. Il entendit le chant d’un cor. Il rangea le petit carnet dans une poche, sur sa poitrine. Il attacha ses cheveux.

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La fille se pencha sur le petit objet vert. La vie, c’est comme une pêche au trésor, et non une chasse. La fille était de ceux qui goûtent. Elle captait et recevait, et ce mouvement la décalait des chasseurs qui la chassaient. Alors, elle errait seule dans la vie. Munie d’une chevelure rousse jusqu’à la chute de ses reins, de longs cils orange qui s’illuminaient les jours de soleil et de claquettes, elle marchait sur les plages, un sac en bandoulière. trouver un objet, ça lui procurait de la joie. C’était une après-midi lumineuse d’été lumineuse, quand les feuilles aux arbres étaient encore d’un vert plein, et la mer d’un bleu clair. Quand tout était ainsi parfait, parfois il lu arrivait de se dire que ça serait agréable d’avoir de la compagnie. Parfois seulement. Car elle se souvenait qu’elle avait quitté l’idée du lien avec l’autre, quand elle prit conscience qu’elle ne comprenait plus ce que les autres lui disaient. Elle entendait les mots, mais ils n’avaient pas le même sens. Pour elle, ils gardaient leur sens dans le temps. Et elle ne rencontrait plus personne pour qui c’était le cas. L’idée de durée s’était volatilisée. Alors elle était partie vivre dans le monde. Elle marchait sur les plages, et quand ses doigts saisirent la bouteille vide, elle entendit un petit bruit. Elle se retourna.

Sans toi, je l’aurais fait

Sans toi, je l’aurais fait traverser la frontière, récupérer la voiture que tu avais laissée dans la cour de la ferme, la ramener plus au Nord, frapper à la porte des copains de Malik, tu sais, la porte de cette maison juste avant la digue, dans la rue pavée après le café où ils servent des gâteaux à la carotte. Mais, il y a eu ce cri dans la nuit, ce cri que je n’aurais jamais dû écouter. Sans ce cri, je l’aurais fait et en montant dans la voiture, je regrettai toutes ces fois où j’ai écouté les autres au lieu d’aller vers mon étoile, vers mon feu, vers cette arrivée au bout de la digue dans la nuit à laquelle je suis destinée.

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Une histoire qui finit bien, ça serait comment ? « Viens ! » Nous nous allongeâmes dans l’herbe, les yeux perdus dans les étoiles. «  Viens, imaginons l’histoire avec une belle fin. » Ma poitrine se souleva. Je n’étais plus habituée à envisager une belle fin, les épreuves nous avaient découpées en morceaux. Dans la nuit, j’entendis mon souffle doux comme une couverture qu’on prend contre soi pour se rassurer. Ça serait l’un de nous qui vient chercher l’autre. Y a une histoire de porte, de cliquetis, de démarrage, d’envolée, de voir s’éloigner le nuage noire de la fumée se dégageant des feux du chaos. Y a le son d’un klaxon : « Coucou, c’est moi. Je suis là. »

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C’était une question de fréquence. Il ne comprenait pas ce que cette fille lui répétait. Alors elle se dit que c’était un souci de fréquence dans le sens où le sens de certains mots ne lui parvenait pas. Comme si son cerveau avait un filtre. Il n’entendait pas ses fréquences qui, elle, la faisaient vibrer. Lui restait mou comme une poupée de chiffons. Elle s’engagea sur le chemin broussailleux, tant pis pour ses jambes nues. Elle pourrait toujours le perdre en se cachant derrière un séquoia. Car en plus d’être mou, il était lent. Et le temps qu’il se faufile dans les mauvaises herbes et autres lianes, elle trouverait le moyen de ramper. Il la suivit, n’esquivant pas les ronces qui marquèrent son visage. Quand elle distingua le château dans la brume, elle cacha le bonheur qui la submergea.

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Ça faisait des ondes régulières et c’était juste beau. Ce rythme l’apaisait. Ça lui donnait confiance. Le chien était revenu après l’hiver. Ça lui réchauffa l’âme. C’était au Moyen-Âge, l’Écosse, tu te souviens. Tu te souviens de sa chevelure rousse. Ça te faisait quelque chose. C’était éternel, cette sensation. Tu étais monté jusqu’au trône, derrière elle. Tu murmurais : « Mon coeur. » le sentant battre à nouveau. Tu pensais : « Mon étoile » sans jamais l’avouer. Tu n’oubliais pas la quête.

Vous allez enterrer les enfants que vous avez tués

Comment avais-je entendu ces longues déclarations structurées d’injustice ? Oui je n’avais pas mis le pantalon rose, parce que je ne possédais pas de pantalon rose. Oui je n’avais pas versé d’argent sur le compte de cet individu parce que je ne possédais pas d’argent. Oui je n’avais pas menti à mon prochain, oui les larmes étaient montés à mes cils en entendant la mauvaise parole, oui ma voix avait été douce face à la colère et le sourire n’avait pas quitté mes lèvres. Oui j’avais saisi mon crayon presque chaque jour pour déposer de la poésie. Oui il n’y avait pas d’édifice suite à mon labeur, oui c’était quelques pages colorées. Oui ma mère m’en voulait pour ne pas avoir su trouver la sécurité, et elle me chargeait de sa peur. C’était bien depuis toujours pourquoi on me disait d’être autrement que ce que j’étais. Avec un pantalon rose, riche et salope, avec cette feinte mièvrerie qui donne aux hommes d’être forts alors qu’ils ne savent qu’aboyer.

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Ils sont timbrés. Mais tout le monde s’en fout. Il n’y a plus le cri de la rage primaire pour hurler quand on nous maltraite. La peur a pris le dessus, la peur les mène par le bout du nez. Ils sont timbrés, mais vous n’allez rien dire. Vous allez enterrer les enfants que vous avez tués. Elle crut : « L’humanité va en mourir ! » Certes, oui. Mais ils s’en foutent car il n’y a plus dans leur cerveau la place pour envisager l’humanité, le fait que nous sommes reliés les uns aux autres et certains couinent comme quoi les gens sont bien individualistes. Et toi ? En vrai, quand as-tu fait autre chose que de nourrir ta névrose et ton aliénation ?

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Pendant que l’autre dormait, je me pris un Lexomil. Lumières éteintes, derrière le rideau. La substance agit vite m’entraînant à opter pour des pensées légères comme des bulles qui remontaient de je ne sais où. Leur légèreté qui venait du fait que je n’avais plus peur de ne pas réussir ce que j’entreprenais me berçait jusqu’à ce que je puisse rêver à nouveau, que ce que je faisais avait un effet positif. Je sortais ainsi de l’échec dans lequel je m’étais installée. Laissant l’autre dans les bras de Morphée, je partis acheter un ticket de Loto. Sans le dire à personne. Le Loto était un enjeu bien trop grand. Je sus me taire. J’apprenais à m’en foutre. Personne ne peut donc imaginer qu’elle fut la claque que je me pris quand je sus que j’avais gagné. Je ne le dis à personne, même pas à l’autre qui s’était réveillé sans rien me demander sur rien. Je partis acheter un poisson rouge avec mon pactole. Je décidai de méditer en le regardant jusqu’à ce que je trouve mon désir,
maintenant que j’avais du pognon. Je l’appelais Jésus-Christ. Dans mes rêveries, je me voyais sur un quai de gare dans une robe verte, toute moelleuse. Ca sentait le miracle, la fleur d’orange et je m’endormais dans une hutte sur une plage.

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Quand je suis rentrée à la maison, il n’y avait personne. C’était la première fois en trois ans. Pendant trois ans, à chaque pas que je posais sur le seuil de la bâtisse blanche, il était là.

 

Tous les soirs

Elle ouvrit sa main et vit un minuscule bonbon en son creux. Orange translucide brillant. Comme une larme ancienne, un diamant dans les mines. Elle ferma les yeux. Tout devint léger dans sa cage thoracique car elle savait qu’en l’absorbant, elle serait guérie.

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Ce Chinois a besoin d’être sauvé. Ça fait deux mois qu’il se met sous cet arbre. Et sous l’arbre il fait froid. Ce Chinois a besoin de me sauver. Ça fait deux mois que je suis arrivée dans cette ville où je ne connais personne. Je lui demande s’il veut du porc laqué car j’en ai fait un, et s’il dit « oui », je l’inviterai chez moi. Je pense que c’est une bonne idée qu’on s’épaule mutuellement. À deux, nous serons plus forts. J’y crois encore malgré la difficile traversée.

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La fée habitait dans le château du roi. Elle adorait sa nouvelle vie, elle avait débarqué dans la ville deux mois auparavant. Personne ne savait rien d’elle. Le roi lui avait ouvert sa porte et l’avait hébergée. C’est tout ce qu’on savait. Alors, on causait sur elle. La fée éclatait de beauté, prodiguait des soins tout au long du jour. Un soir, le roi tapa à sa porte. Elle ne répondit pas. Il tapa à nouveau. Il entendit le petit loquet. Elle était là. « Ouvre-moi. »
Elle vint et il la vit.
En larmes.
Elle toujours souriante, toujours gaie, toujours alerte.
Il lui demanda :
– Que se passe-t-il ?
– C’est le soir.
– Tous les soirs ?
– Oui.
– Mais qu’est-ce qui t’arrive ?
– C’est un sort, on ne peut rien y faire.

Presque sauvage

En dehors du cercle, tu changes de foi. Tu enlèves tes vêtements d’avant, tu es prêt à te vêtir autrement. En dehors du cercle, tu poses ta chope de bière sur le cercle, et tu la regardes, les yeux brillants. N’aie pas peur, tu ne vas pas tomber dedans. En dehors du cercle, ton regard se laisse balader par les bulles qui remontent. Ça te rend légère et joyeuse. Tu n’as plus peur de tomber quand tu t’aventures en dehors du cercle, car tu sais désormais qu’il y a un autre cercle autour, comme des poupées russes, tu sais que changer de foi t’aide à gravir la montagne, que tu parviens à trouver un second souffle.

Il y a la joie éternelle et l’amour inconditionnel. C’est une porte avec écrit dessus : « Salut les emmerdes. » À moi la belle aventure ! Les plages, le surf, les bonnes bières et les beaux mecs sans plafond carte bleue. C’est le pied de nez.

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Avant cette histoire de mains, tu avais commencé par les fleurs. Des roses rouges pour aller droit au but. Tu ne faisais pas de détour. Je me souviens de ce bouton jaune à ton col, et bien sûr, tu osais la chemise hawaïenne, tu balançais cet éclat de rire à la vie, en te foutant de tout, sauf de la manière, tu m’achetais des bouquets d’iris, tu approchais tes lèvres du rebord de mes accoutrements, ma garde-robe que tu tançais du regard. À notre époque, ça ne se portait pas tant que ça, ces choses-là. Nous usions les TGV, filant comme notre train de vie, et ça faisait du chahut, tu m’extirpais de mon quotidien, tu arrachais les boutons de mon débardeur, tu défrayais la chronique.

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Au nord de Paris, cette femme, assise dans un salon de thé aux murs blancs, lisait depuis des heures, les jambes croisées dans un jogging bleu marine, les chaussettes à nu. Son coeur battait avec une régularité que tout moine zen lui envierait. Elle était parvenue à cette stabilité de rythme suite à une épreuve qu’elle n’avait jamais racontée à personne. Et c’est d’ailleurs suite à celle-ci qu’elle ne raconta plus rien, qu’elle tira un trait sur l’amitié, ou même la copinerie, sans même en prendre conscience. Cela se fit. Elle avait trouvé le calme dans sa poitrine, elle s’accordait ces heures, elle y revenait, personne ne savait qui elle était. Sous sa douceur qui l’enveloppait d’une aura orange, sommeillait un dragon. Dans son sac, une théière et un instant où un homme entra en criant et où elle se retourna, les battements de son coeur en suspens. Le dragon se réveilla, lui-même avec une certaine agilité. Dans la cuisine, le pakistanais leva la tête, fit basculer la casserole qui tomba par terre. L’homme qui était entré muni de cris s’arrêta quand il la vit, elle décroiser ses jambes quand la casserole toucha le sol. Il ne voulait pas hurler. Il voulait ce calme qui se dégageait d’elle, un calme irradiant, presque sauvage.

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L’arrivée de cet heureux événement me conduisit à la gare la plus proche. L’armistice venait d’être signée et j’allais accoucher. À la gare, je restais sur le quai ne sachant pas quel train prendre. Je les voyais partir un à un, ou en groupes. Moi, personne ne m’attendait, c’est moi qui attendais quelqu’un et c’était un enfant. Je n’avais plus de chez moi, retourner chez mes parents me semblait impossible. Pas après ce que j’avais vécu sur le front, pas avec un bébé. Cet après-midi de novembre, je ne ressentais que la paix, certes inattendue mais profonde dans mon corps. Tout apparut essentiel et donc précieux. Je ne me sentais pas pressée même si je savais que la nuit allait bien finir par arriver. C’est quand je fermai les yeux, les mains posées sur les genoux, que j’entendis une voix. Elle me causa en anglais. J’eus envie de la suivre. J’eus envie de traverser la mer.

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Sauf que j’en avais marre de ces récidives, qui me lassaient. Tu finissais par t’affadir. Je pris tes chiffons, tes orchidées qui sentaient un snobisme qui ne te ressemblait pas et les balançai à la poubelle. J’achetai deux billets aller pour Amsterdam, refusant l’idée même d’une répétition. J’exigeai que ce soit vierge sur la page.

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– Nous sommes deux enfants ; nous avons fait une folie.
– Tu n’aurais pas dû prendre la pelle.
– C’est moi qui t’ai dit de le faire.
– Et je ne suis pas censée t’obéir, n’est-ce pas ?
– C’est que je culpabilise.
– Il ne faut pas culpabiliser mon chéri.
– C’est juste que j’ai peur qu’ils accusent Cédric.
– N’aie pas peur, ils vont accuser Cédric.
– Même sans cadavre ?
– Bien sûr. Sans cadavre. Ils sont capables de tout.
– Si nous avions laissé la pelle, peut-être qu’ils ne l’auraient pas inculpé.
-Nous sommes des enfants.
– Et lui, c’est un tox ce qui revient un peu au même.
– Je n’en reviens pas. Sans cadavre, comment savoir qu’elle est morte ?
– Nous n’avons pas le dossier de l’instruction ?
– Nous ne l’avons pas. Mais nous étions là, souviens-toi.

Puis-je t’aider à assouvir cette faim ?

Une escadrille de sales meufs débarqua dans le bar. Elles étaient venues par les pistes cyclables. Johnny resta placide à leur arrivée. Il avait arrêté la rationalisation depuis longtemps, ça ne payait plus comme avant. Il s’était mis à fréquenter les rades tard le soir. Ça lui permettait d’oublier la joliesse de sa bien-aimée qui avait été assassinée la semaine passée.

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Seule j’ai marché sur cette plage
Où j’attendais le retour de l’être
Unique en mon coeur
La lune rythmait l’écoulement du temps
Amoureuse je tenais debout et
Gagnait patiemment en maturité
Et puis tout s’accéléra
Ma vie bascula
Et je me retrouvai échouée
N’attendant plus rien, goûtant la beauté du rivage
Tranquille.

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Elle s’étendit à plat ventre sur le tapis, tout le monde s’arrêta de parler. Elle avait quelque chose à dire. Quelque chose de grave et de beau.
De par son histoire, elle savait que son seul pouvoir à interrompre le cours de l’Histoire passait par son corps. Luigi voulut s’élancer vers elle :
– Non.
Car il savait ce qu’elle avait enduré depuis que ses parents l’avaient jetée hors de chez eux. Mais Luigi se retint. Il resta immobile.
Et eux, ces messieurs de la cour n’avaient jamais vu ça. Ils ne savaient pas ce que c’était de dormir dehors dans l’enfance,
ils ne savaient pas ce que c’est de frapper à une porte avec une question au bord des lèvres,
ils ne savaient pas ce que c’était d’avoir faim. Et pourtant on lui voyait les côtes, à elle étendue par terre
À peine avaient-ils arrêté de parler qu’on entendit le frémissement du taffetas de la robe de la reine qui arrivait.
Et c’est avec un silence souverain qu’elle entra,
Des anneaux
Accrochés à ses oreilles.
Le jour déclinait. 
Mais la lumière restait forte, comme scintillent les étoiles que l’on découvre en mer.
« Tu seras entendue » dit la reine à la catin à terre.
Celle-ci sourit.
Un homme se démarqua du groupe en avançant d’un pas. Il dit : « Tu sens l’animal sauvage. » Il la saisit par la taille et l’emmena avec lui. Elle se débattit, le mordit au cou. Il resserra l’étreinte jusqu’à la coller contre son corps. La reine les regardait, en plissant les yeux, les lèvres au bord de son sourire, ravageur de cette infinie tendresse que rien du pouvoir n’avait entaché.
Elle le savait un homme de confiance. Elle le savait éperdue d’elle, contre les vents, même en revenant des guerres. Il tenait la fille à l’agacer, ça la calmait. Il fallait juste attendre quelques minutes.
La reine lui proposa de l’écouter. Il la lâcha. Mais curieusement elle resta près de lui.
– J’ai faim.
La reine lui dit :
– N’as-tu point à manger ?
– J’ai faim d’un plaisir que je n’ose pas vous avouer.
– Puis-je t’aider à assouvir cette faim ?

Il me dit : « Tu me manques. »

Tu ne comprenais pas ce qu’était une interdiction, interdiction ce mot n’avait aucun sens. Sans interdiction tu franchissais les limites, imposant des interdictions aux autres en leur imposant tes limites. Au détour d’un panneau d’interdiction, tu ne vis pas l’interdiction qui aurait pu te freiner dans ta surenchère à ton affranchissement de toute interdiction. Et pourtant ta mère t’avait frappé à chaque interdiction qu’elle te dictait et frappé à chaque fois que tu l’oubliais. Elle te frappait aussi quand il n’y avait pas d’interdiction. Moi, je trouve ça dommage qu’il n’y ait pas eu d’interdiction à l’union de ton père et de ta mère. Car une femme doit avoir le choix de son époux.

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Cette nuit, j’ai cassé un câble. Tout doucement, sans un bruit. J’avoue, je n’attendais plus ce moment. Il était tendu et j’avais capitulé.
Cette nuit, j’ai senti qu’il avait lâché. Ça m’a fait presque peur, l’opacité du silence, comme si la tension de ce câble faisait du bruit. Comme si la douleur ronronnait en permanence, en arrière-plan. On m’avait prévenue que ça serait dur, mais ça avait été bien plus dur. Alors… Mieux vaut prévenir personne de rien. Surtout quand on ne l’a pas vécu.

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Elle se décida à retourner aux écuries pour gueuler un bon coup. Il était là, comme d’habitude. Ce mec riveté à ses habitudes, donc j’aurais dû écrire « comme à son habitude. »
Au contraire, gueuler n’était pas son habitude à elle. Il recula d’un pas sous la houle de ses cris. Elle, elle si réservée, si timide, inclinant la tête comme par déférence, depuis toute petite qu’il la connaissait, semblait possédé par un démon. Les cheveux lâchés, les yeux brillants, la cravache tendue vers lui, rien n’arrêtait son dégueulis verbal. Ce qu’elle avait contenu en elle depuis l’enfance se répandit ainsi. Il avait suffi d’un mot de sa part à lui.

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Pierre était venu. Elle attendait Pierre depuis un an. Elle n’en avait parlé à personne. Pierre avait dit : « Donne-moi un an. » Elle lui avait donné. La veille, elle avait soudain ? de la folie de cette attente. Se souviendrait-il de sa promesse au jour près…
Pierre s’était souvenu. Il était venu. En le revoyant, elle fut surprise par son propre ressenti. Elle remarqua qu’elle ne l’avait jamais cru et que si elle l’attendait en silence, elle ne pensait pas à son retour réel. Quand elle ouvrit la porte et qu’elle le vit, elle en fut si bouleversée qu’elle tomba dans ses bras. Elle avait oublié sa beauté, elle avait oublié combien elle l’aimait, pour se prémunir de la déception. Quand il entra et qu’il resta la nuit, elle ne remarqua pas qu’elle avait oublié le châtelain, le château, la jument. Pierre avait tenu sa parole et elle n’avait jamais connu une personne qui avait tenu sa parole.

Au départ de Pierre, elle pleura… Elle pleura beaucoup. Ayant peur de se noyer dans ses sanglots, elle allait sonner à la porte du château. Elle devait oublier. La parole d’un homme ne vaut rien. Sa mère en avait fait les frais et elle les avait subi toute son enfance. Le château semblait un endroit sécurisant. Et le châtelain, personne n’irait le réquisitionner pour la guerre. Elle lui demanda à monter la jument. Il répondit qu’elle pouvait venir chaque jour, à quatorze heures. Ce qu’elle fit avec une assiduité quotidienne.

Il l’attendait depuis une heure, l’attente le rendait nerveux. Il avait scellé le cheval après l’avoir brossé en sifflotant comme à son habitude. Il aimait la recevoir ici, dans son château. C’était son bonheur à lui de la voir débarquer à la porte des écuries. Sa silhouette taillée dans les rayons du soleil en contre-jour faisait tambouriner son coeur. Parfois elle courait jusqu’au box et alors il se réjouissait de sa respiration forte quand elle arrivait face à lui. Mais ce jour-là elle marcha lentement jusqu’à lui. Si lentement qu’il crut qu’elle n’arriverait jamais. Il lui dit fort pour qu’elle entende : « Dépêche-toi, tu es déjà en retard.

À peine eut-il fini sa phrase qu’elle disparut.

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Rien ne me fait plus peur que te perdre. Quand j’ai dit ça en arrivant à l’hôpital, ils m’ont tout de suite internée. Et sans le dire, je connaissais le diagnostic qu’ils avaient posé sur moi. Ça faisait longtemps que j’avais toute une théorie sur cette peur de perdre comme une des causes principales de la violence. On a, nous, une si grande peur de perdre que ça nous rend autres. Ça fait de nous des êtres différents. Nous, au milieu de ceux qui disent : « C’est normal de ne plus avoir de nouvelles des gens, c’est normal que tout le monde se lâche au premier inconfort émotionnel. » Nous sommes ainsi, nous, enfin eux, sont des hamsters dans la roue : « Tout va bien, tout va bien. »
D’ailleurs, c’est moi qui suis entrée à l’hôpital.

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Je soupire et l’air tel une vague me prend dans ses bras. La tension se dissout, je me sens plus légère. Je soupire en lisant la lettre de mon soupirant qui aspire à être à mes cotés. Je soupire découvrant son inspiration pleine de débordements lyriques et colorés. Je ne voudrais pas être triste, mais j’ai un pincement au coeur. Je l’imagine soupirer en écrivant au bord de l’eau, c’est un petit village en Crète. Je n’y suis pas allée l’hiver, mais ça doit être beau. Je soupire car il m’écrit de venir. Il se languit de nos promenades, les pieds dans la mer à discuter à bâtons rompus. Bien sûr, j’aimerais le rejoindre. Ce que j’aspire à faire après le tournoi de rugby.